J'avais 15 ans quand j'ai vu "l'Amour l'après-midi" un dimanche après-midi sans amour dans un petit cinéma de la petite ville de province où se traînait mon adolescence. On était en 72, ou peut-être bien début 73, et le film m'avait marqué, presque traumatisé : on y (entre-) voyait plusieurs très belles femmes nues, et le triste "héros" du film s'enfuyait en courant plutôt que de coucher avec la sublime Zouzou. Tout cela m'avait semblé certes fascinant, mais quand même bien mystérieux ! Puis au fil des années, étant devenu le fan numéro 1 (j'en suis persuadé) d'Eric Rohmer, j'ai tourné et retourné autour de "l'Amour l'après-midi" sans vouloir lui attribuer plus qu'un strapontin en tant que "Conte Moral" un peu mineur, faisant pâle figure, comme son héros blafard et un peu mou, devant les chefs d’œuvre l'ayant précédé, et ceux qui suivraient... Mais à le revoir une fois de plus, cette fois, son prologue m'a scotché, hypnotisé même, avec cette superbe voix off (un exercice pourtant difficile, on le sait) décrivant une vie citadine et une attraction pour les femmes qui furent régulièrement miennes, et aboutissant à un stupéfiant retour rêvé de Rohmer sur ses héroïnes antérieures. Après une telle introduction, le reste du film en devenait presque superflu...


Il s'est avéré que le problème que m'avait longtemps posé sa très amère (voire douloureuse) conclusion - ce retour prudent à la norme, alors que j'avais toujours désiré quant à moi le triomphe de la liberté de vivre et de penser, symbolisée par la belle Zouzou, archétype séduisant de la jeune femme soixante-huitarde, sur le conformisme bourgeois (d'ailleurs assez malmené à l'époque...) - ne me semblait plus désormais aussi grave ! La belle lucidité de cette peinture de la lâcheté (et de la mauvaise foi) masculine, contrebalancée par l'indiscutable empathie que Rohmer nous fait ressentir vis à vis de son "héros", brouillant ainsi très efficacement son discours "moral", me paraît aujourd'hui élever le film au dessus de la légèreté qu'on lui avait attribuée à l'époque. Défiant toujours largement toute interprétation simpliste, "l'Amour l'Après-Midi" résiste bien au passage du temps et pourrait bien continuer à fasciner longtemps le spectateur du XXIème siècle. [Critique écrite en 2017 à partir de notes prises en 1982 et 1999]

EricDebarnot
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le 30 août 2017

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Eric BBYoda

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