D'habitude, la réalisation d'Eric Rohmer, ne laissant pour ainsi dire que la place à des dialogues littéraires, sonnant faux, m'emmerde profondément. Mais il y a quelque chose qui m'a touché ici dans ce sixième et dernier opus des Contes Moraux, beaucoup plus que dans les autres marivaudages verbeux jusqu'à l'overdose du cinéaste.


Peut-être parce qu'il y a dans ce film un soin particulier apporté au réalisme parlant du cadre, avec ce milieu de travail traité dans sa grande banalité, dans ces cabinets nichés dans tel étage de tel immeuble (ici haussmannien, on est à Paris !), telle qu'elle pouvait l'être dans les années 1970 avec ses machines à écrire, ses gros téléphones de travail à cadran et à boutons.


Et peut-être aussi et surtout parce que comme le bourgeois intello qui sert de protagoniste, la majorité d'entre nous pense plus leur existence, la fantasme, plus qu'elle ne la vit. Enfin, en ce qui concerne les actions les plus audacieuses. Oui, la pensée, tant qu'elle reste à l'état de pensée, permet de "commettre" tous les actes possibles et inimaginables sans le risque d'en subir ou d'en faire subir les conséquences.


Ainsi, il n'est pas interdit comme notre personnage d'être séduit et de mettre en condition son esprit pour que l'on puisse se donner l'illusion de pouvoir séduire tous les êtres (ou presque !) que l'on veut. Ce que souligne dans cette oeuvre une séquence de rêve.


Ici, on a affaire à un homme marié et heureux en ménage (incarné par Bernard Verley !), père de famille d'un enfant, futur père d'un autre en route, qui se dit amoureux de son épouse (incarnée par la véritable femme de Bernard Verley !), sans se montrer pour le coup hypocrite dans les faits puisqu'il ne la trompe pas. Il y a le refuge de la pensée. Il n'est pas interdit de tromper en pensée, sinon à quoi bon la pensée. Dans la réalité, notre bourgeois se montre moins téméraire. N'est-ce pas aussi bien ? Est-ce que l'apparition d'une ancienne et attrayante connaissance (jouée par une certaine Zouzou !) ne va pas bouleverser tout ce tranquille train-train quotidien, que la plupart d'entre nous préfèrent aussi calme que notre monde intérieur est tumultueux, tout en étant heureux paradoxalement qu'il y ait parfois le piment de l'imprévisibilité ?


La photographie de l'excellent Néstor Almendros capte brillamment la grisaille ambiante du quotidien, de ce vide intérieur que l'on peut ressentir. C'est vrai comme le met en avant le film (enfin, c'est le cas pour moi !) que la première moitié de l'après-midi est la période au sein d'une journée qui, pour quelqu'un ayant un emploi du temps "conventionnel" (matin travail, pause déjeuner, après-midi travail, fin de la journée de travail !), est la plus chiante.


Dans un premier abord, il est étonnant que dans ce type d'ambiance, le tout dégage autant de sensualité. Bon, Eric Rohmer a beau nous balancer généreusement l'arrière-train de trois de ses comédiennes (pour deux d'entre elles, ce n'est pas forcément utile, mais je m'abstiendrai de m'en plaindre !), ce n'est pas principalement pour cette raison que la température monte. C'est plus le contraste entre la froideur hiverno-automnale poussant à moins naturellement sociabiliser, à s'isoler au chaud, à se couvrir sous de plus grandes épaisseurs de vêtements, à ressentir une solitude plus pesante, et entre le rapprochement des corps qui provoque cette sensation.


C'est sûrement parce que L'Amour l'après-midi a réussi à parler aussi bien à ma sensibilité qu'à mon intellect que j'ai plus adhéré à ce Rohmer qu'à aucun autre que j'ai vu jusqu'ici.

Plume231
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le 24 juil. 2022

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Plume231

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