Kong: Skull Island mise sur la surenchère d’effets spéciaux pour appâter le spectateur. Malheureusement, ce reboot qui tient plus du Monde Perdu d’Arthur Conan Doyle que du King Kong de 1933 se voit gâché par une écriture bâclée et des personnages clichés.


Qu’on l’apprécie ou non, le King Kong de Peter Jackson pouvait revendiquer une vraie sensibilité poétique, épaulé par la composition émotive de James Newton Howard. Kong: Skull Island prend le parti d’oublier toute l’humanité du récit. Nous avons ici affaire à un film d’action pure ; une sorte de nanar à budget pharaonique qui revendiquerait ses inspirations, de Jurassic Park à Pacific Rim en passant par Apocalypse Now. On apprécie le choix intéressant d’une intrigue se déroulant en 1973 au sortir de la Guerre du Viêt Nam ; outre les choix musicaux sympathiques en découlant, on en aurait espéré une réelle réflexion sur la violence des hommes, mais il n’en est rien. Ce choix sous-entend simplement qu’une bonne moitié de nos personnages, ayant survécu à ce conflit, seraient aguerris à la traque en milieu tropical.


Kong: Skull Island raconte donc comment une équipe composée de scientifiques et de militaires accoste Skull Island, sorte de triangle des Bermudes responsable de la disparitions de nombreux navires et avions. Cette expédition est menée par James Conrad (Tom Hiddleston), traqueur endurci qu’on devine être le héros, et Preston Packard, incarné par un Samuel L. Jackson décidément abonné aux rôle de psychopathes. Mason (Brie Larson), photographe, vient compléter une équipe presque entièrement masculine (l’autre femme est une scientifique japonaise qu’on entendra presque pas). Leur but est donc… un peu flou. Débusquer ce qui se trouve sur cette île et, a priori, l’étudier (sinon, pourquoi s’encombrer de scientifiques ?), mais il en sera autrement.


Les films de monstres ont la cote depuis une décennie, entre Godzilla et la franchise de Del Toro qui font le bonheur des adeptes de kaijū eiga, ces films japonais de monstres étranges issus tout droit du traumatisme post-Hiroshima. Kong: Skull Island se devait de traiter ses propres bestioles avec talent, et accorde un soin particulier aux plans de Kong. Le gorille géant est donc impressionnant, mais les effets spéciaux ne font pas tout. La profusion de nouveaux monstres proposés dans ce film est étouffée par les choix de mise en scène et on se languit un peu, déçus de ne pas s’attarder plus sur chaque bestiole, pour avoir le temps de l’admirer à sa juste valeur. Quelques autres bonnes idées, comme le plan assez esthétique d’un essaim d’hélicoptères passant au ralenti, sont gâchées pour la même raison : ce film est trop pressé.


Et ceci est le premier défaut d’une liste qui n’en finit plus. Kong: Skull Island, plus construit comme un film d’action pure qu’une aventure, ne laisse pas au spectateur le temps de s’émerveiller. Dès qu’on effleure un plan esthétique ou épique, il est coupé au bout de deux secondes et remplacé par un cadrage inintéressant sur un personnage. Un montage épileptique qui ruine notamment tout le potentiel de la séquence d’arrivée sur l’île, singeant celle de Jurassic Park, (“Hold on to your butts”, nous dit même Samuel L. Jackson ; la référence est donc claire) sans réussir à nous émouvoir.


Le deuxième énorme problème est justement le traitement de ces personnages qui cannibalisent leur environnement, tant à l’image que dans le scénario. Kong: Skull Island est victime du même phénomène que le Godzilla de Gareth Edwards : de beaux monstres ruinés par une écriture inintéressante. Ici, l’écriture est non seulement ennuyeuse, mais, en outre, tellement illogique par moments qu’elle finit par nous agacer. Une équipe à demi composée de scientifiques (on ne le rappellera jamais assez) qui tire sur tout ce qui bouge sans même l’étudier auparavant. Une équipe à demi composée de militaires ayant survécu au Viêt Nam, entraînés à la discrétion dans une nature sauvage sous peine de se faire repérer par l’ennemi, et qui, arrivés sur Skull Island, tirent sur absolument tout ce qui bouge, utilisent des fusées de détresse alors que des monstres rôdent partout autour, et hurlent à qui mieux mieux pour se faire entendre.


Est-ce un moyen de porter à l’écran les traumatismes de la guerre qui les a rendus si paranoïaques qu’ils ne réfléchissent plus ? Si traumatisés qu’au final, ils pètent un plomb et perdent toute logique ? Ou alors ces bêtes sont-elles si effrayantes qu’ils en oublient leurs réflexes ? Quoiqu’il en soit, et même en y cherchant une explication, c’est terriblement agaçant, et ça dure tout le film.


Pendant tout le film, on se dit surtout “mais qu’ils sont cons, mais qu’ils sont cons”. Une ribambelle de personnages idiots, mais également clichés : le héros mâle alpha, l’héroïne qui se tape un sous-entendu de romance bidon avec lui comme validation obligatoire de sa seule existence, le chef de guerre psychotique, le noir comique et la scientifique asiatique. Le traitement du personnage de Brie Larson est honteux : seule femme dans un rôle principal, elle ne parlera jamais à une autre femme (adieu test de Bechdel), n’est ni dans l’armée (donc pas “forte”), ni scientifique (donc pas assez “intelligente”) mais cantonnée au rôle de la photographe, mais attention, pour la paix, c’est plus doux et féminin. Lors d’une séquence hallucinante, elle prend la parole pour s’opposer à un militaire violent, et Hiddleston la pousse, se met devant elle pour la “protéger” alors qu’elle n’est pas en danger, et lui coupe la parole. On oubliera complètement la population indigène, transparente et dénuées de moyen de communication intelligible, qui ne sert que de décor.


On survolera le reste des incohérences ; et quand on en arrive aux jumpscare, on n’est plus à ça près. On en est arrivé au point où on baisse les bras car on a réalisé qu’on est devant une sorte de nanar à gros budget, avec la vacuité, l’humour beauf et l’absence d’intelligence qui va avec.


Bref, ça fleure bon le film de commande surfant sur le succès d’un genre pour faire du chiffre, et qui y arrivera probablement. Victime d’un moule à fric et de producteurs qui n’ont pas une once de responsabilité sociale dans ce qu’ils produisent, Kong: Skull Island proposait de bonnes idées sur le papier, et c’est un peu douloureux d’en dire autant de mal. Le film aurait pu pousser un semblant de réflexion autour des violences de la guerre, des conséquences des tests nucléaires, et du fait que malgré cette promesse de paix après la Seconde Guerre Mondiale, les Etats-Unis sont retournés en guerre au Viêt Nam. Mais Kong: Skull Island ne reflète que les intérêts personnels des protagonistes, qui n’épargneront que ce qui leur est utile. Reste un film d’action qui plaira probablement aux amateurs.

Filmosaure
4
Écrit par

Créée

le 5 mars 2017

Critique lue 1.2K fois

27 j'aime

1 commentaire

Filmosaure

Écrit par

Critique lue 1.2K fois

27
1

D'autres avis sur Kong : Skull Island

Kong : Skull Island
zombiraptor
5

Donc, et Kong ?

Olalalalalalalala. Bon bah voilà j'ai vu l'nouveau Kong. C'était pas bien. En gros le métrage ne sert à rien, s'esthétise à outrance pour rien, développe un bestiaire qui n'a ni pertinence, ni...

le 8 juil. 2017

92 j'aime

44

Kong : Skull Island
Velvetman
3

"Kong" comme la lune

Les blockbusters bestiaires commencent de plus en plus à fleurir dans le jargon hollywoodien, notamment quand celui-ci se réapproprie les mythes du passé. Quand ce n’est pas Gareth Edwards qui marche...

le 13 mars 2017

80 j'aime

4

Kong : Skull Island
guyness
4

Argent de liaison

Un peu trop longtemps, j'ai cru que les scénaristes hollywoodiens avaient perdu leur mojo à cause surtout d'un problème de rythme. Leur savoir-faire, ayant pris la forme d'un talisman finement...

le 12 mars 2017

79 j'aime

23

Du même critique

Boule & Bill
Filmosaure
1

Boule débile

Que ceux qui déclaraient d’emblée, sans même avoir vu le film, que l’on massacrait leur enfance à la scie sauteuse, se rassurent : ils avaient raison. Nous passerons outre le débat sur la médiocrité...

le 1 mars 2013

111 j'aime

51

Only God Forgives
Filmosaure
5

Critique de Only God Forgives par Filmosaure

Comme pour dissiper une confusion existant depuis le succès de Drive auprès du grand public, Nicolas Winding Refn revient avec Only God Forgives, un exercice hautement stylistique qui relève plus du...

le 22 mai 2013

86 j'aime

13

L'Odyssée de Pi
Filmosaure
9

Prière cinématographique

Ang Lee nous a montré au cours d’une filmographie hétérogène qu’il était capable du meilleur comme, si ce n’est du pire, tout au moins du médiocre (oui toi Hulk, je te regarde). L’on tend à retenir...

le 4 déc. 2012

74 j'aime

10