Errance d'un personnage, des acteurs, d'un réalisateur et du spectateur.

Il fut un temps où Terrence Malick réalisait encore des films.


Des films concrets, saisissables, reconnus pour leur portée métaphysique alliée à un sens de la narration, des personnages, des sons et de l'image exemplaire. Des chefs d’œuvres, en somme.
La Ligne Rouge se faisait porteur de l'étendard des valeurs Malickienne et représentait magistralement son talent.
Avec ce Knight Of Cups, Malick a donc décidé de larguer les amarres et de quitter officiellement le port du concret pour un voyage, une errance dans les eaux troubles de l'expérimental.


Knight Of Cups serait comme un visage, si vous me permettez l'analogie.
Un visage dont chaque élément serait magnifique mais qui unis ensemble sur une même surface donnerait cet objet atroce et abscons qu'est ce film.
Indépendamment, chaque image est magnifique. Malick est un génie pour cela, que chacun de ses plans reflète fièrement sa patte, son style, jouant "à la merveille" (appréciez la référence) avec des éclairage ("Chivo" Emmanuel Lubezki à la photographie), des formats d'images, des effets de zoom, de mouvement permanent et d'angles qui en font un bijou.
Mais Dieu ce montage ! On le sait Malick est un homme de montage, ses films ne prenant véritablement forme qu'en post production, laissant quelques acteurs désemparés face à un résultat final qui parfois supprime leur prestation. Mais ici Malick se révolutionne lui-même ; son montage déconstruit encore plus son film, ne lui donne aucune forme, aucune caractéristique précise qui le ferait un tant soit peu saisissable, humain.
Non Malick fait fi de tout cela et nous livre un objet déconstruit, bordélique, absurde et foutraque, qui laisse le spectateur sur le côté.
Les 15 premières minutes, on les espère introductive. Mais plus le film avance, plus on se dit que le film a bel et bien démarré et restera ainsi jusqu'à sa fin.
Et le ballet des spectateurs quittant la salle se fait plus divertissant que le film lui-même.


Malick a ici fait fi de la narration.
Sans réelle chronologie, sans dialogue aucun, son film n'est qu'un patchwork immonde d'images agressives et mouvementées additionnées les unes aux autres, soulignées par des voix off qui débitent à tout va des réflexions métaphysiques débiles (on ne m'avait jamais fait, je dois l'avouer, le coup du "regardez les palmiers, prenez exemple sur eux") et une musique lassante car toujours la-même.
Certes à certains moments c'est elle seule, car tout de même magnifique, qui se fait vectrice d'émotions, loin du "jeu" des acteurs (bordel quel casting pour ça !).
Car ici le réalisateur, en faisant fi de la narration, fait aussi fi des personnages et des dialogues.
Inexistants, livides, sans profondeur, absurdes et inutiles, transparents, ils sont fantômes dans une ville qui, malgré sa dynamique permanente, ses pubs, ses soirées et ses lumières, l'est tout autant.
Christian Bale, en improvisation silencieuse permanente est terriblement mauvais, son jeu ne transmet rien, et sa face pâle et vide d'émotion imposée au spectateur pendant deux heures aura vite fait de l'agacer. Bale n'a rien à dire, rien a faire et ne dégage par là-même rien.
Grande question ; comment qualifier le jeu d'acteurs qui ne disent rien, ne racontent que du vide, ne font qu'errer de soirées en soirées, dans une ville fantomatique, ne font que prendre des poses improvisées et ridicules ?


Grande question encore ; comment juger ce film ?
Si les images sont désorientantes, hypnotisantes, ébouriffantes (alternance entre la caméra à l'épaule et les longs travellings oppressants), leur mise en commun est indigeste, est une purge, une orgie d'images au service d'une expérimentation que le réalisateur aurait voulu sensorielle.
Synesthésie hallucinée ; on en est pourtant loin.
Filmer des peaux qui se touchent, des corps nus dans l'eau, des soirées, le tout avec une go pro vulgaire qui n'apporte rien, n'est pas la promesse pour le spectateur d'une plongée dans la sensation.
Heureusement Malick nous épargne la violence d'un montage sonore qui aurait pu s'additionner à celle des images. Son traitement sonore, peut être la plus grande réussite du film, est précis, subtil, hypnotisant, lunaire, loin de l'accumulation d'images et de sensations, et évite au spectateur une migraine carabinée à la sortie. Même si je n'ai toujours pas saisi l'intérêt d'avoir donné du texte aux acteurs, vu que celui-ci n'est jamais entendu, toujours trituré, le micro ne captant jamais entièrement les phrases, le son reste bel et bien la réussite de ce Chevalier de La Coupe.


S'il est exempt de toute narration, le film arrive tout de même, Dieu sait comment, à aborder quelques thèmes puissants et émouvants S'il se disperse dans un longue suite de conquêtes féminines sans sens ni utilité, le film se retrouve dans des thèmes plus évocateurs comme notamment celui de la famille éclatée que forment Rick, son frère et son père, aux relations viriles, explosives et maladroites mais si humaines et convaincantes. Sans histoire, le thème est pourtant porteur d'émotion.


S'il est sans histoire, les deux longues heures de vide abyssal qu'est ce film m'ont permis pour autant de me poser beaucoup de questions.
Non, pas celles pseudo-philosophico-métaphysiques que se posent le héros et les multiples voix off indéfinies qui polluent le film, pas cette branlette intellectuelle pitoyable qui comble l'abysse scénaristique et donne à l'ensemble une apparente intelligence.
Je me suis plutôt posé des questions de ce genre : "Comment peut-on attirer un tel casting ?", "Comment Malick a t-il obtenu de l'argent de la part de producteurs" ou encore "Que dire aux acteurs pour les mener là ?"
Car bien loin de nous déplacer intérieurement, de nous faire penser à nous-mêmes et au monde, de nous convoquer dans un délire interrogatif, ce sont bien ces questions qui nous percutent et nous tournent dans la tête, témoins parfaites de l'arnaque probable qu'est ce film.


Probable oui.


Car en deux heures tout a été dit, montré, évoqué, entendu.
Que ce soit le thème musical qui revient sans cesse, les situations avec les femmes du films qui se répètent et s'égalent inutilement, les plans que je qualifierais de "détails" (que j'apprécient normalement car filmant gratuitement des réalités, des détails du quotidien peu cinématographiques, mais qui ici sont tellement nombreux qu'ils perdent toute efficacité) qui reviennent sans cesse filmer la même chose (les avions ou hélicos...), ou encore la voix off dont on a à la fin biennnnn compris les tenants et aboutissants...
Probable arnaque car au delà de ce foutage de gueule géant qu'est le film (Malick y trouve sûrement un sens de partout, y placent sans doutes des parts de sa vie, mais c'est bien là le problème ; nous ne faisons pas partie de sa vie et ne comprenons donc rien - s'il y a évidemment quelque chose à comprendre -), restent 20 dernières minutes, puissantes, émouvantes, hypnotisantes qui viennent enfin donner une consistance, une solidité à un film qui en manque cruellement.


Peut être est-ce la longueur qui commençait à être efficiente. Bercé depuis deux heures, je commençait enfin à entrer réellement dans ce film, dans cette expérience, à y être bercé, à m'y plaire.
Malick aurait donc peut être eu raison détirer son film sur plusieurs heures pour hypnotiser réellement son spectateur et lui proposer une véritable expérience.
Car au final je suis ressorti lassé certes, un peu vide moi-même.
Mais hypnotisé.

Charles Dubois

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