Katie Tippel
7.5
Katie Tippel

Film de Paul Verhoeven (1975)

Après deux films inscrits dans son époque, Paul Verhoeven nous offre ici une page de l'histoire de son pays à l'époque de la révolution française, dépeinte comme un roman de Victor Hugo qui rencontrerait Sade. On suit d'abord une famille de pauvres paysans venus s'installer en ville pour gagner de quoi acheter leur pain. Il se dégage un certain parfum d'authenticité de cette misère et de l'initiation de cette jeune fille qui apprendra à ses dépends combien il est dur dans ce nouveau cadre de survivre, de s'extraire de sa condition, et simplement de grandir. On retrouve avec plaisir la charmante Monique van de Ven qui interprète une Cendrillon (référence assumée) fraîchement débarquée de l'enfance, reprenant régulièrement, avec vigueur, le chant révolutionnaire marseillais reflétant l'esprit de rébellion qui bout en elle.


Le moins qu'on puisse dire, c'est qu'on ne peut reprocher au réalisateur d'édulcorer l'histoire. Au début, Katie semble se retrouver dans Justine ou les Malheurs de la vertu. A chaque marche franchie vient son épreuve. Les pauvres sont terribles entre-eux, ne se font aucun cadeau, surtout avec les nouvelles arrivantes dont la beauté juvénile contrastent avec leur laideur. Même les parents n'hésitent pas à exploiter le corps de leurs filles pour gagner deux sous, ou de laisser pour les mêmes raisons leur jeune fils céder aux tentations de vieux mecs louches dans la rue. Les conditions de travail sont au pire dangereuses, au mieux dégradantes avec des patrons qui se jettent sur elles comme de vulgaires morceaux de viande. Même l'hospice habité par les religieuses offre un havre temporaire fragile (d'ailleurs ridiculisées par Paulo qui expose leurs rituels à travers une scène sacrément macabre et drôle). Malgré ses sévices subis, Katie conserve son innocence, le seul rayon de lumière, ou presque, qui émerge de cette fresque historique bien éloignée de nos images d'Épinal. Vient beaucoup plus tard R. Hauer apporte son charisme à un personnage ambivalent, un contrepoint intéressant, en reformant temporairement le couple de Turkish delices où le bonheur leur sourit quelques temps. D'abord gentil et prévenant malgré sa condition élevée qui légitime souvent une certaine cruauté envers les personnes estimées inférieures, il aide Katie à évoluer en lui inculquant les bonnes manières, à s'élever socialement, et à révéler ses charmes au monde par de belles toilettes, avant de montrer enfin l'envers du miroir qui les ramène à la triste réalité.


Certes, le réalisateur expose une vérité sociologique parfois simpliste quant aux clivages entre pauvres et riches, hommes et femmes, tous également pourris par l'argent et le sexe qui justifient une domination hiérarchique assez basique. Seuls 2-3 personnages constituent l'exception, qui montrent qu'une femme ne se réduit pas à son corps, dont la beauté peut devenir une véritable inspiration pour l'art - d'ailleurs première cause de l'extraction sociale de Katie -, mais aussi un paravent de motifs sournois sans besoin de coucher avec des hommes, par exemple quand elle observe les potentiels mauvais payeurs pour son amant banquier. Mais cette série d'oppositions bien raides sert surtout à mettre en valeur l'un des plus beaux portraits de femme de la carrière de Paulo, qui découvre par elle-même que l'herbe n'est pas plus verte d'un côté du chemin comme de l'autre. Un traitement égalitaire des classes sociales (dans ce qu'elles portent de pourri) qui porte ses fruits, puisqu'on assiste à une belle montée en puissance de la femme accomplie, s'élevant au même plan que la soit-disante noblesse, qui finalement délaissera ces ségrégations sociales pour l'idéal révolutionnaire qui brûle en elle, et se traduit avant tout par son comportement indécemment enfantin et innocent qui résiste à toute forme de déterminisme.


Bref, Verhoeven nous montre une fois de plus combien il est féministe et rebelle dans l'âme. Oui, pour lui la sexualité et la violence font tourner le monde, mais elles peuvent aussi se sublimer vers une forme plus élevée, ici l'art et la politique. Un didactisme naïf constamment contredit par des images fortes où l'innocence est rabattue, vampirisée, rattrapée par la brutalité de son environnement qui annonce déjà La chair et le sang. Il cultive une véritable culture des contraires, de la beauté à la laideur, de la poésie au réalisme, de la soumission à la liberté, qui révèle une oeuvre plus complexe qu'en apparence, ne reniant jamais l'environnement terrible dans lequel l'humain évolue, mais en apportant toujours une petite touche d'optimisme, aussi légère soit-elle.

Arnaud_Mercadie
8
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le 21 avr. 2017

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5 j'aime

Dun

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