K contraire, le premier film de la jeune française Sarah Marx est impressionnant de justesse. Son passé dans le cinéma documentaire y est sans doute pour beaucoup. Sa collaboration avec Hamé & Ekoué (du groupe Hip-Hop La Rumeur) rend les dialogues vivants, actuels, dynamiques et totalement réalistes. Ulysse (Sandor Funtek, déjà émouvant dans Nos Vies Formidables de Fabienne Godet), un Ulysse qui fait ici hélas un voyage sur place le menant nulle part, est un détenu un peu modèle. Auxiliaire de l’administration pénitentiaire, il tient tête à ses chefs pour que le repas qu’il sert à ses codétenus soit livré à midi, chaud, et non à 11 heures pour convenir à des matons pressés de rentrer chez eux. Sa jeunesse fougueuse lui octroie d’emblée un capital sympathie de la part du spectateur, même si on apprend que ce n’est pas sa première incarcération. On l’aperçoit pour la première fois la veille de sa libération conditionnelle, une décision adaptée pour les uns, prématurée pour les autres.


Car Ulysse retrouve dehors un univers défavorable et plus qu’hostile. Sa mère Gabrielle (Sandrine Bonnaire, lunaire) est « Cotorep » comme il le dit dans son langage fleuri ; elle a une dépression sévère qui nécessite l’aide constante d’une tierce personne. Son meilleur ami David (le jeune Alexis Manenti qu’on a déjà remarqué dans Les Misérables de Ladj Ly) croule sous les dettes de pensions alimentaires impayées. Son ex Lena (Viriginie Acariès) qui a accepté de s’occuper de sa mère pendant son incarcération est au bout du rouleau, tant physiquement que financièrement. Ulysse personnifie de manière très juste ces milliers de personnes qui se retrouvent seules, au piège d’une vie qui tombe de Charybde en Scylla, sans l’aide de la société.


La cinéaste ne développe à aucun moment du pathos dans la construction de son film. Ce dernier est une œuvre austère, factuelle, mais également drôle, comme par moments dans une vie réelle pas drôle. Et pourtant, malgré cette austérité, les efforts du jeune Ulysse pour éviter à tout prix que sa mère ne finisse mal prennent le spectateur aux tripes. Son obsession est unique, trouver l’argent pour payer une garde pour sa mère, tandis qu’il serait au travail pour respecter les conditions de sa libération. Une équation complètement impossible à résoudre pour un jeune sans qualification, payé au mieux au Smic. Il s’associe alors avec son ami David pour vendre de la Kétamine (spécial K de son petit nom) dans les rave et autres réjouissances électroniques de masse, un tranquillisant utilisé essentiellement pour le bétail. Si son aventure n’était pas tragique, on pourrait presque la trouver rocambolesque, tant la naïveté des personnages est grande. C’est cette fragilité d’Ulysse qui est le moteur de cette histoire qui traite de beaucoup de choses : la maladie, la précarité, la dépendance, un drame social intense sans être plombant. Le jeune Sandor Funtek excelle avec ses expressions, toujours à la limite de l’ahurissement, à montrer combien il est dépassé par tout ce qui lui arrive, tout en étant farouchement déterminé à avancer sur les voies inéluctables de la délinquance, les seules qu’il connaît, car les seules qui sont à sa portée. Sarah Marx se range nettement de son côté, forte de son travail documentaire long et minutieux sur la difficile réinsertion d’anciens détenus.


K contraire est un film sans aucun temps mort, comme tourné dans l’urgence. Quand le psychiatre de Gabrielle propose le passage à la Kétamine comme nouveau protocole de soins de sa dépression, la caméra s’active encore davantage autour d’un Ulysse révolté, survolté en connaissance de cause. Ceci, pour s’arrêter brusquement, dans un soleil qui était absent du film jusqu’à ces dernières minutes, et s’inscrire dans un rythme comme apaisé, en suivant les destins de Gabrielle et de son fils Ulysse, deux destins parallèles aussi amers qu’étrangement réconfortants. K contraire, un « petit » film de 1h23min, est une belle découverte émouvante et exempte de toute sensiblerie, réalisée en subtilité et avec une grande intelligence.


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Bea_Dls
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le 13 févr. 2020

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