Premier long-métrage de Xavier Legrand, Jusqu’à la garde ne laisse pas le spectateur indemne. C’est chancelant, l’esprit confus et le corps meurtri que l’on sort de la salle une fois le générique de fin a défilé sur l’écran. Ce film éprouvant, très justement récompensé à Venise, décrit en quelques moments clés la descente aux enfers d’une famille.


Il s’ouvre sur une scène finalement assez banale : un couple, leurs avocates, une juge. Il s’agit de trancher sur la garde des enfants. Joséphine, bientôt 18 ans, a décidé de ne plus voir son père. Soit. Julien, 12 ans, devra lui se plier à la décision de la juge, même s’il a fermement fait connaître son souhait de ne plus côtoyer son père. Dans cette atmosphère étouffante, la juge – comme le spectateur – essaie de comprendre, de démêler le vrai du faux. Un exercice difficile. Miriam, la mère, est murée dans son silence. A-t-elle poussé ses enfants à témoigner contre leur père pour en avoir la garde exclusive ou est-elle pétrifiée, dans l’incapacité même de s’exprimer tant elle fait corps avec la peur ? Antoine, le père, est un peu plus expressif, mais qui est-il ? Cet homme violent et intrusif présenté dans les témoignages ou un père effondré à l’idée de ne plus pouvoir revoir ses enfants ? Quasi documentaire le début du film rappelle le travail de Raymond Depardon avant de changer d’angle en entrainant le spectateur dans l’intimité de cette famille. Dans l’engrenage d’une violence insidieuse.


L’emprise de la terreur


Peu abordée au cinéma, la violence conjugale mérite d’être traitée comme il se doit : avec force. Faut-il rappeler qu’aujourd’hui encore dans un pays comme la France, trois femmes par semaine meurent sous les coups de leur conjoint ? Ici, point d’atteintes physiques. Xavier Legrand choisit de ne pas les montrer. Il préfère se focaliser sur cette tension, cette emprise de la terreur qu’un homme peut faire peser sur une femme, mais aussi à ses enfants. Le jeune Julien, obligé par la juge de passer un week-end sur deux avec son père, se barricade tant qu’il peut, mais comment faire face à un homme plus fort physiquement et, surtout, qui joue de son autorité et du lien vicié qui existe entre eux ? Denis Ménochet et le jeune Thomas Gioria sont formidables dans ces scènes père-fils insoutenables. Le premier, alternant le chaud et le froid, l’empathie calculée et la violence en bon pervers narcissique qu’il est ; le deuxième, pétrifié, bloc de silence tentant de protéger sa mère et lui-même sans pour autant renoncer à tout espoir de retrouver une once d’humanité chez son père. A maintes reprises, on se prend à souffler à Julien : « pars, va-t-en, enfuie-toi ! » Ce qu’il finit par faire… avant de revenir vers père. Le pouvoir de l’emprise…


L’insoutenable quotidien de l’horreur


Le talent de Xavier Legrand se mesure à l’aune de cette tension qu’il est capable de faire ressentir lors de scènes d’une banalité toute quotidienne. Lors d’un repas de famille, le spectateur assiste, impuissant, au harcèlement de Julien par son père, qui veut lui soutirer des informations sur le nouvel appartement de sa mère. Les grands-parents prennent la défense du petit et Antoine est mis à la porte. Réponse à la violence par la violence. Quelques plans plus tard, Antoine a retrouvé Miriam (Léa Drucker, tout aussi émouvante et juste que ses partenaires masculins). Il se met à pleurer sur ce qu’il est devenu, cette situation qui a complètement dérapé. Il la prend dans ses bras devant Julien, qui ne bouge pas. Miriam est tétanisée. Une pierre entre les bas de ce colosse en larmes. Que va-t-il faire ? La briser d’un coup de patte ou la serrer très fort pour sentir un peu de chaleur humaine ? Ces quelques minutes sont d’une angoisse terrible. Une boule au fond de l’estomac, personnages et spectateurs ne font qu’espérer que tout se termine au plus vite. La force du film, qui n’est pas sans rappeler celle dégagée par le Shining de Kubrick, se situe dans ces scènes à la tension si puissante qu’elle parvient à contaminer les spectateurs. Et ce, jusqu’à l’apothéose finale où Jusqu’à la garde passe avec brio du drame psychologique au thriller jusqu’à côtoyer les plus asphyxiants des films d’horreur. Et lorsque tout se termine enfin, un soupir de soulagement remonte de la salle. Libérés. Personne ne sera plus le même après cette expérience viscérale, cette plongée trouble au cœur d’une histoire de violence familiale qui fait d’autant plus mal qu’elle est d’un réalisme à couper le souffle.


Publication originale sur likeinthemoviesblog.wordpress.com

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le 11 févr. 2018

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