Par sa mise en scène dans laquelle l’image se fait froide et déstabilisante, Jusqu’à la Garde de Xavier Legrand se mue en un immense morceau de cinéma. Déroutant car complexe, le film se veut être une autopsie viscérale dévoilant l’effondrement d’une famille et le portrait asphyxiant d’une violence conjugale pernicieuse.


Pour un premier film, il est peu courant de voir un tel degré d’exigence et de maturité. Jusqu’à la Garde nous présente Miriam et Antoine qui ne s’aiment plus, qui divorcent. Alors que leur couple n’existe plus, l’un comme l’autre tente d’avoir la garde de leur jeune garçon Julien. Pendant toute la durée de son film, Xavier Legrand jouera sur les contrastes, entre la simplicité du dispositif et la complexité des sentiments, et minimisera ses effets pour accentuer la torpeur qui imprégnera la situation. Situation qui se focalisera presque exclusivement à travers les yeux du jeune Julien.


Un repas de famille, une fête d’anniversaire, ou même de simples trajets en voiture, Jusqu’à la garde transpire le réalisme, se sert de cette aspérité concrète pour faire naître la peur ou l’empathie, infuser une tension qui ne se détache pas ou peu des images. Dès la première séquence, la fameuse confrontation devant le juge, la réalisation et le montage se veulent rêches, avec des plans fixes bruts de décoffrage à l’instar de ce que peuvent laisser transparaître des réalisateurs comme Michael Haneke ou Michel Franco. Dans ce tribunal d’instance, Miriam plaide pour la garde exclusive de leur fils Julien, 12 ans, accusant Antoine d’intimidation et de violence contre leur fille aînée Joséphine. Les silences, les regards ou même les gestuelles en disent long sur le volcan qui bouillonne chez les personnages.


C’est une qualité que présente la fine écriture de Xavier Legrand, qui durant cette scène, implicite autant qu’explicite, met le public dans une position similaire au magistrat en ce sens que notre compréhension de l’affaire est purement juridique, procédurale. Au regard du titre de l’œuvre, il est intéressant de noter que le mot « garde » peut prendre plusieurs significations : la garde de l’enfant, la position de protection ou même l’emprisonnement, l’étreinte. C’est certes dramatique, mais l’actualité brûlante qui existe en France fait que Jusqu’à la Garde prend une ampleur tout autre. Le film devient même une mise au point, un rappel à l’ordre concernant l’enjeu familial qui se joue devant nos yeux, et qui se joue dans nos foyers.


Ce thème de la violence conjugale est un vrai problème de société et a été très peu abordé au cinéma. Quand un mariage tombe, que l’amour s’effrite, il change obligatoirement la vie des conjoints en question. La souffrance que vivent les enfants est encore plus intense. Le film de Xavier Legrand traite de l’effet d’un mariage brisé sur les enfants, mais ne prend pas cet arc narratif spécifique comme un simple constat. Les dérives sont encore plus souterraines. Jusqu’à la Garde explore la terreur domestique à travers les portes, où les lieux d’habitations deviennent une sphère à la fois de protection mais aussi de danger. Le scénario de Xavier Legrand nous donne très peu d’informations, sauf à travers les confrontations et ce que nous tirons du comportement des différents membres de la famille. Xavier Legrand nous éblouit, et nous achève avec le même sentiment de gravité qui animait Faute d’Amour de Andreï Zviaguintsev, grand film de 2017, qui lui aussi s’accaparait le sujet de la famille contemporaine.


Pourtant, le film brouille les pistes, a cette intelligence de ne pas nous mâcher le travail et de ne pas éructer un plaidoyer manichéen. Le récit n’est pas schématique mais se veut progressif dans l’apparition de cette folie, de cette colère qui tapisse l’ombre d’un mari violent. Cela commence par une sorte de garde et se termine par l’explosion chez l’autre, lorsque les lieux de refuge se transformeront en forteresses assiégées. Et même si Jusqu’à la garde est nuancé, complexe, il est surtout implacable dans sa résolution. Même lorsqu’Antoine n’est pas là, sa présence est ressentie. La fête d’anniversaire de Joséphine est un moment de fête. Mais alors que tout le monde danse, la problématique est ailleurs, l’horreur va resurgir.


Alors que Carrie de Brian de Palma se faisait humilier sur scène devant tout le monde, Joséphine chante la peur au ventre, sentant le mal arriver. Les projecteurs aveuglent le hors champ dévastateur qui va commencer à s’épaissir. Le talent de Xavier Legrand est de nous faire ressentir l’inéluctabilité de cette peur, et que la repentance de cette violence n’était qu’un feu de paille.


Commençant comme une introspection sociale, une étude de cas familiale, Jusqu’à la Garde finit en trombe, à la lisière du cinéma de genre, comme un film d’horreur qui n’a rien à envier aux mastodontes. Même si l’œuvre n’effleure jamais le dolorisme d’un Steeve McQueen ou d’un Michel Franco, nous avons en face de nous un coup de maitre dans lequel on finit anéanti, la boule au ventre. On ne peut plus dire que nous n’avons pas été témoins. Dans Jusqu’à la garde, le soulagement n’existe pas.


Les stigmates, les traces sur les portes sont indélébiles. Dans une atmosphère claustrophobe, qui interpelle Shining de Stanley Kubrick, toute la sympathie que nous pourrions avoir pour Antoine commence bientôt à s’éroder, car il ressort qu’il est moins motivé par le désir de renouer avec son enfant que par une rage possessive, une tristesse envahissante qui l’habite. Le coup de maître est la façon dont Legrand s’éloigne, presque imperceptiblement, du naturalisme impartial vers l’horreur accablante.


Article original sur Cineseries Le Mag

Velvetman
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le 7 févr. 2018

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