Si l'on devait définir "Julieta" nous serions peu inspiré de n'en retenir que le mélodrame, genre auquel il ne manquera pas d'ici quelques heures d’être estampillé par la presse et une grande partie du public. L'arc narratif contient bien des germes qui s'apparentent à cette grande tradition, sous-tendu par une histoire de perte et de sentiments refoulés. Bien évidemment des motifs chers à Almodovar tels que la sacralisation des femmes, la famille périclité ou la perte des illusions de jeunesse forment un schéma qu'il se plait à réinventer au gré de sa filmographie. Mais on est bien plus ici dans une mutation scénaristique qui emprunterait des voies protéiformes tant cinématographiques qu'artistiques, en cherchant à régénérer une méthode existentielle.


Il faut parcourir ce film comme une nouvelle page blanche sur laquelle nous projetterions nos propres parcours personnels sur les visage tristes et éreintés de ces solitaires. Fait nouveau chez l'espagnol, il use de rares artifices de mise en scène volontairement grossiers pour figurer le passage du temps inéluctable, et installe également progressivement un ton quasi fantastique. En résulte En résulte un territoire ou les fantômes du passé s'inscrivent dans une démarche démiurgique et ou le manque de l’être chéri devient une étape nécessaire pour se reconstruire une identité. En inscrivant la Mythologie grecque dans le parcours frustré de cette mère, on peut aussi lire entre les lignes que l’odyssée sentimentale qui la définit se veut comme une allégorie d'une vie ordinaire. Peut-être faut il avoir grandement souffert pour avoir conscience de ce que représente notre présence au monde.


De même que la filiation n'est pas inné et qu'il ne suffit pas d’enfanter pour se sentir responsable, l'enfant n'est pas une propriété que l'on peut modeler à notre bon vouloir. Il peut sinon en résulter une immense blessure qui pourrait fragmenter les relations internes, et au delà cristalliser des frustrations névrotiques. Almodovar semble tisser un récit gigogne ou les interprétations multiples seraient partis liées à nos propres expériences. Et ou il n'oublie pas d'en photographie des instants volés pour mieux en soutirer un art composite. Dans lequel les statues phalliques exacerbent nos instincts les plus primaires et la littérature policière s'amuse d'une parenté à la Patricia Higsmith. Ou le cinéma Hitchcockien période "Fenêtre sur Cour" voisine la psychiatrie psychotique Freudienne. Et ou des retrouvailles attendues confinent à l'abstraction d'un paysage ensoleillé mais sinueux. Un méta-mélo en quelque sorte, ou il est plus que conseillé de ne pas laisser sa sensibilité au vestiaire. Et de prévoir quelques mouchoirs en rab.

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le 18 mai 2016

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