Jules et Jim: La femme, tourbillon de la vie

29eme film de l'année et après le très bon "Les 400 coups", je continue ma rétrospective sur François Truffaut.


Contrairement à son comparse Godard de la Nouvelle Vague, Truffaut cherche à raconter une histoire et construire un métrage de façon intelligible (quel bonheur après l’effroyable vision du Mépris dont j’ai un peu près tout détesté).


On suit l'histoire de Jim, un jeune français qui devient ami avec Jules, un jeune autrichien avec qui il partage bons nombres de centres d’intérêts culturels l'un étant artiste et l'autre écrivain.


Cette passion commune se prolongeant aussi au niveau sentimental, tous deux tombant amoureux de la même femme, Catherine, et qui verront la grande guerre changer leurs vies.


Adapté du roman autobiographique d'Henri-Pierre Roché, Truffaut nous donne une vision articulée autour d’un amour passionnellement irrationnel d’un triangle amoureux/trouple oh combien particulier composé par les personnages de Jules, Jim et l’inénarrable Catherine.


D’un départ empli de légèreté et d’optimisme, le film se dirigera vers une certaine forme de gravité tout en finesse afin de garder l’attention et l’empathie développée par le spectateur.


Dans le style, c’est un volontairement littéraire avec sa voix off narrant le texte original et encadrant le récit, tel un roman filmé mais qui garde une certaine liberté grâce à un enchevêtrement malin de diverses tranches de vies remplies de réactions et de sentiments des personnages rapprochant le spectateur de ces derniers, le tout cadençant le rythme de l’histoire.


Dans le récit, le réalisateur se permet d’aborder des thèmes importants tel de l'amitié, la loyauté par-delà les duretés de la vie (tout en montrant la bêtise et l’inutilité de la guerre) ou encore de l'émancipation de la femme, de la vie sentimentale voire sexuelle au travers de son héroïne, libre décisionnaire dans son "tourbillon de la vie" amoureux n’hésitant pas à bouleverser la vie des gens qu’elle côtoie sans forcément prêter attention aux répercussions.


Cette dernière incarnée dans le récit par le personnage de Catherine, représente selon moi parfaitement la femme fantasmée (libre et volontaire) par l’esprit de ces cinéastes de la Nouvelle Vague voulant briser les codes, rôles et mœurs d’antan -qui au travers d’un idéal/de l’amour cherche à chasser l’ennui les poussant inexorablement vers une fuite en avant dont la fin peut être symbolisé par la scène du pont.


Cette émancipation de Catherine dénotant du reste des protagonistes féminins matricées par l’esprit très patriarcal de l’époque dépeinte dans le film et symbolisé par des réflexions ou modes de pensées misogynes qui paraitront à n’en point douter choquant pour nos oreilles.


En effet, dans ce film ni pleinement libertin ni pleinement féministe, certains propos consternent tel que celui prononcé en substance par un ami du duo: « femme creuse juste bonne à se faire baiser » juste devant la demoiselle mutique en question, réduite alors à l’état de simple objet sexuel -réceptacle à sa semence- n’ayant que peu d’intérêts, sans que celle-ci ne s’en émeuve outre mesures voire en acceptant cette totale soumission dans cette « relation ».


Autres propos clivants, ceux émis par Jules sur le chemin du retour après le spectacle définit peu ou prou dans ces termes « La fidélité de la femme est la condition absolue de la solidité d'un couple. Celle de l'homme est secondaire ».


Une femme infidèle étant synonyme de destruction à l’instar d’une Catherine, personnage libre, se laissant guider par son cœur, ses pulsions et ses envies en détruisant tout sur son passage (y compris elle-même) à cause de son insatisfaction/boulimie chronique.


L’infidélité de la homme quant à elle, n’étant qu’une chose normale, naturelle, un non-évènement qui n’est pas quelque chose dont il faut blâmer.


La soumission à cette dernière pensée étant reflétée à l’écran par le biais du personnage de Gilberte, femme éperdument amoureuse et trompée attendant patiemment le retour de son amant sans remettre ne serait-ce une seule fois sa relation avec Jim.


La femme étant cantonnée donc soit à un rôle purement d’objet, de personne dangereuse ou bien d’enfant inconscient voire les trois et c’est en cela que le personnage de Catherine est intéressant.


Dans l’interprétation, la performance solaire Jeanne Moreau est saisissante tant elle arrive à transmettre au spectateur tout un panel d’émotions pourtant antagonistes allant de l’allégresse, tristesse, l’insatisfaction voire la colère ou le mépris.


Cette faculté a tapé juste sans jamais trop en faire est particulièrement visible durant son éblouissante interprétation pleines de tendresses et de malice du morceau « Tourbillon de la vie ».


Le reste des acteurs, en particulier le duo, délivrent des prestations de bonnes factures et accompagnent avec délice les dialogues d’un grand lyrisme finement ficelés et de très bonnes tenues rendant les ping-pong verbaux particulièrement jouissifs à mon oreille.


Au niveau technique, on peut dire que c’est le jour et la nuit avec "Le Mépris" de Godard tant celui de Truffaut est imminemment supérieur notamment la partie sonore (thème savamment distillé durant le métrage, bon mixage et volume sonore,…).


C’est un film vivant, alternant avec grâce des moments joyeux, pleins de légèreté voire d’insouciance et les moments plus tragiques pour se révéler en fin de compte à une hymne à l’amour sous toutes ses formes.


Ce résultat n’est possible que grâce à une bonne histoire, de bons dialogues, de bons personnages, fait avec une bonne réalisation ainsi qu’un bon rythme ce qui m’a donc permis passer un très agréable moment et je n’ai absolument pas vu le temps passé.


Si vous souhaitez découvrir tout un pan du cinéma, je ne peux que vous recommandez de commencer par celui-ci.


A (re)découvrir.

lugdunum91
8
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le 3 mars 2021

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