Clint Eastwood aime traiter les sujets sensibles, qu’il s’agisse de thèmes de société ou historiques, mais ce qu’il y a de surprenant c’est l’écart qu’il semble souvent y avoir entre les convictions du cinéaste et celles de l’homme. D’un côté le cinéaste, qui traite de la peine de mort ou de l’euthanasie sous un angle semble-t-il progressiste, de l’autre l’homme qui, lors d’un meeting présidentiel, composa un numéro pathétique et conservateur pour se moquer d’Obama. Dans Josey Wales c’est le cinéaste qui s’exprime et loin d’être un film anti-nordiste, c’est plutôt un film pro-sudiste que réalise Eastwood. Pas de manichéisme à tout crin, juste un homme qui se retrouve rattrapé par un conflit qu’il n’avait pas fait sien jusqu’à présent et qui utilise l’armée sudiste comme instrument de sa vengeance.

Josey est donc fermier et cultive paisiblement sa terre avec sa femme et son fils quand surgit une bande de red legs, mercenaires de l’armée nordiste, qui assassinent son fils, on le suppose violent sa femme et brûlent sa maison. Malheureusement pour eux, ils ne tuent pas Josey qui va sortir son revolver des décombres encore fumantes de sa maison (symbole très fort que l’instrument de sa vengeance extrait de l’objet du crime) et s’enrôler dans l’armée sudiste pour assouvir sa vengeance. Sa vengeance se transformera en fuite lorsque la guerre prendra fin et qu’il refusera de rendre les armes. Le film est fort et complexe, car Eastwood prend finalement le parti de ne pas prendre parti, montrant que cette guerre n’était pas binaire avec le bien d’un côté et le mal de l’autre. Juste deux visions de la société que chaque bord pensait légitime et entendait défendre, au risque d’entrainer une jeune nation dans le gouffre d’une division longue et profonde.

Josey Wales est probablement le western d’Eastwood le plus approfondi avec Impitoyable, reprenant les codes du western spaghetti mais y ajoutant une profonde réflexion sur la place de la morale dans une société où la civilisation n’a pas encore pénétré tous les esprits. Une fois de plus, Eastwood comme d’autres avant et depuis, pose l’éternel problème qui travaille les Etats-Unis, celui de l’auto-défense et de la justice personnelle. Cette possibilité, non pas de ne pas avoir confiance dans le jugement de la Justice, mais de trouver insupportable que cette justice puisse ne pas tuer ceux qui ont tué. Car là est le fond de la question, dans ce film et dans tant d’autres, être conscient que la Justice jugera bien, mais refuser de prendre le risque qu’elle ne mette pas à mort. Ici la chose se complique puisque les red legs sont totalement couverts par l’armée nordiste et agissent en toute impunité. Josey se transforme alors en enquêteur, en juge et finalement en bourreau, incarnant à lui seul tout le cycle de la justice.

On reste tout de même dans un western qui, s’il n’est pas spaghetti par les lieux où il s’installe, n’en est pas moins une riche galerie de durs à cuire, de regards perçants en acier trempé, de mâchoires serrées jusqu’à s’en briser les dents. Eastwood met en scène de minuscules villes désolées et désertées où l’espoir de richesse et de vie meilleure a cédé la place au vide, à la poussière et aux tumbleweeds. On sent à plein nez le mâle viril, la racaille à la gâchette facile et l’arrogance d’hommes qui ne conçoivent leur existence qu’avec un ceinturon autour de la taille. Si Clint Eastwood occupe presque tout l’espace par un charisme et une présence qu’on ne lui a jamais contesté, il a su s’entourer de faire-valoir tout à fait respectables et ça en deviendrait presque amusant quand on le voit, tout au long de sa fuite, regrouper de plus en plus d’égarés autour de lui. On verrait presque la naissance de sa Communauté De l’Anneau à lui, en quête cette fois de verts pâturages à coloniser, de préférence en territoire indien pour que les nordistes ne s’intéressent pas à eux.

Œuvre profonde et sensée, Josey Wales, Hors-La-Loi s’inscrit dans la droite ligne de ces westerns qui ne se contentent pas de divertir, mais montrent que la réalité du far-west n’était pas forcément celle que l’imaginaire collectif s’est forgée. Même si cette Guerre de Sécession avait, entre autres buts, d’abolir l’esclavage, elle a aussi massacré sans discernement d’un côté comme de l’autre et Eastwood, dans un de ces films les plus riches et aboutis, tente avec ses moyens de rétablir un équilibre que l’inconscient collectif a rompu.
Jambalaya
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le 19 déc. 2013

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Jambalaya

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