Arthur Fleck,humoriste raté affligé de graves problèmes neurologiques,vit avec sa mère dans un appartement minable à Gotham City,mégapole décadente en proie à une criminalité dévorante.Le faible équilibre mental du gars va exploser à la suite d'une série d'agressions et d'humiliations qui le conduira à une révolte ultra-violente.Le Joker est une figure secondaire mais importante de l'univers Batman,et donc DC Comics.Il est incontestablement le meilleur méchant,et le plus fascinant,de la galerie d'allumés s'opposant à la chauve-souris.A ce titre,il méritait bien qu'un film lui soit consacré après qu'il soit apparu en ennemi de Bruce Wayne dans diverses oeuvres télé ou ciné,notamment sous les traits de Jack Nicholson dans "Batman" en 89 ou Heath Ledger dans "The Dark Knight" en 2008.Il est curieux de voir à la réalisation de "Joker" Todd Phillips,le mec des "Very Bad Trip",plus habitué aux comédies régressives,mais l'ambiance cynique et destroy du film n'en est pas si éloignée.Phillips est en outre producteur,avec son acteur des "VBT" Bradley Cooper et DC Films, et a écrit le script avec Scott Silver en s'inspirant des BD de Bill Finger,Bob Kane et Jerry Robinson.Il s'est brillamment approprié cet univers noir et dépressif pour en tirer un manifeste socio-politique crépusculaire et désespéré.S'appuyant sur des décors urbains cradingues et déglingués,une musique angoissante et une photo shootée au clair-obscur morbide,il crée une esthétique à la fois attirante et terrifiante,propre à servir d'écrin à une histoire horrible accompagnant la marche inéluctable du personnage vers la folie et la destruction.Aussi spectaculaire qu'introspectif,le film ausculte la chute prévisible d'un monde occidental en pleine déshérence en usant d'une grammaire technique sophistiquée dopée à la profondeur de champ et aux plongées-contre-plongées.Fleck,cinglé décadent,devient le symbole d'une société à la dérive dont il est la création ultime.C'est à la base un innocent,un type gentil et démuni qui a le malheur de faire partie des faibles,ceux que l'on piétine impitoyablement.Faible physiquement,faible mentalement,il est moqué,méprisé,brutalisé,tout et tout le monde lui tombe dessus et à force il va craquer,comme craquera le peuple quand la patience des classes matraquées prendra fin.Ce n'est pas par hasard que Fleck est d'abord tabassé par de jeunes voyous,puis par des yuppies,cadres sup de l'entreprise Wayne.La racaille d'en-haut qui se croit tout permis et la racaille d'en-bas qu'on n'a plus les moyens de canaliser exercent une pression conjointe sur un peuple coincé au milieu et dont le réveil pourrait être extrêmement violent,s'il a lieu.C'est ce qui arrive à Arthur,propulsé sans l'avoir voulu au poste de gourou révolutionnaire,un rôle que sa raison chancelante le pousse à pervertir,le garçon se reconvertissant in fine en génie du crime.Joaquin Phoenix est énormissime dans ce rôle qui lui a valu l'Oscar et le Golden Globe du meilleur acteur.Lancé à bloc dans une performance totale,il se l'est jouée Actor's Studio,sa maigreur est carrément effrayante,et son travail sur les expressions faciales,la gestuelle et la diction est tout bonnement extraordinaire.Le Joker est fou et dangereux mais le comédien le rend si humain qu'on a plus envie de le plaindre,voire de l'approuver, que de le condamner.Le show magnétique de Phoenix occupe l'écran massivement mais les protagonistes autour sont solidement décrits et campés,notamment par Robert De Niro,fantastique en comique faux-jeton animant une émission télé,emploi qui rappelle fortement "La valse des pantins",où c'est lui qui admirait la vedette Jerry Lewis.Penny,la mère détraquée d'Arthur qui lui a transmis sa folie,est interprétée par Frances Conroy qui,bizarrement,était 15 ans plus tôt dans un autre spin-off Batman,"Catwoman",également inspiré de Finger et Kane.