Voilà déjà deux années que les studios Warner Bros annonçaient leur projet de produire un film centré sur l’ennemi juré de Batman, toutefois indépendant de l’univers DC. Déjà, la critique se montrait boudeuse et réticente : et pour cause, on repense au désastre que fut la prestation de Jared Leto où le personnage du Joker fut entièrement malmené et tourné en ridicule. Cependant, très peu de personnes s’attendaient à une telle revisite du mythe constituant une si importante part de l’univers des comics.


Le personnage du Joker nait de sa longue descente aux enfers, similaire aux escaliers qu’il descend chaque jour, le dos courbé et la tête basse ; tout ça à travers de superbes plans pris en contre plongée. La photographie avec ses tons qui nous rappellent les années 70 écorche à la perfection le tableau déjà bien terni de la ville de Gotham. Grèves d’éboueurs, population qui s’élève et se rebelle, anarchie et violence : on ne peut qu’établir un effrayant parallèle entre cette ville et notre société actuelle tant les ressemblances sont troublantes. Un très beau clin d’œil à Taxi Driver est remarqué lorsque qu’Arthur Fleck et Penny imitent le bruit d’un canon sur leurs tempes : et qu’il est bon de retrouver De Niro lui-même dans le rôle de Murray Franklin, à la fois mentor et bourreau du personnage principal.


Si Warner Bros avait initialement proposé Leonardo DiCaprio dans le rôle principal, Todd Philipps impose Joaquin Phoenix comme son premier choix ; pari risqué mais maintenu jusqu’au bout. On l’avait découvert puissant et tyrannique dans Gladiator, sensible et drôle dans Her, brillant et émouvant dans Walk the Line, violent et influençable dans The Master : Phoenix semble s’essayer à tous les genres et arrive encore à nous surprendre par sa déroutante justesse à habiter les personnages qu’il incarne. Sa performance dans le Joker demeure néanmoins l’une des plus réussies : c’est avant tout une décomposition minutieuse de la psychologie d’un homme, dont la société, qui lui est profondément injuste, finit par commettre l’irréparable. Cette société qui mine tant Arthur Fleck n’est qu’une sombre chimère d’hypocrisie, de méchanceté, et ou le personnage ne cesse d’être désillusionné au fur et à mesure de l’avancée du récit.


Pour Scorsese, les Marvel ne sont pas du vrai cinéma, simplement des « rollercoasters » incapables de mettre en avant des personnages profondément humains et touchants. Mais est-ce vraiment le cas du Joker ? Contrairement à l’univers des comics ou nous avions connu le Joker, ennemi juré de Batman comme étant l’incarnation du mal absolu ; nous découvrons ici un protagoniste bien plus tendre et sensible. Au fur et à mesure de l’avancée du récit, presque tous les personnages auxquels il semble dévoué comme son ami Randall ou même sa propre mère finissent par se détacher de lui. S’il se demande au début pourquoi « tout le monde est méchant avec lui », Arthur Fleck finit par dépasser le statut de victime aliénée et se positionne en véritable héros du mal en concluant par un effrayant « that’s life ! » très joliment accompagné de la chanson de Frank Sinatra. S’il peine au début à monter les marches de sa ville, il semble tourbillonner dans les airs après sa transformation en Joker, tout cela à travers la fameuse danse que nous lui connaissons. La musique, fabuleuse et très judicieusement choisie et composée fut très justement récompensée, tout comme la performance de Joaquin Phoenix par un oscar : l’on aura bien vu tout au long du film à quel point ils furent indissociables.


C’est à travers leurs diverses interprétations de l’ennemi de Batman que le Joker survit au fil des années tout en gardant son authenticité. Et celui de Todd Philipps ne manque pas à son devoir : restituer à un homme son humanité et mettre en avant le lourd fardeau qu’est parfois le simple fait de vivre.

carnetdusoleil
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le 16 mai 2020

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