Jojo la victime rencontre les gentils !

Jojo Rabbit en cette courte critique est une fois de plus la réplication de la chosification de l'histoire par l'Amérique. On ne raconte pas, on décrit peu, on déforme beaucoup et surtout, on s'avance énormément. Ainsi, dans un énième film moralisateur sans grande prise de risque, on nous livre ici une fois de plus la guerre vue par un enfant. Citoyen d'une ville sous le régime nazi, notre jeune tête blonde a subit bien évidemment les ravages de la propagande, rendant son imaginaire réduit à la situation géopolitique de pays, se traduisant par son ami imaginaire Hitler lui-même qui le guide dans sa quête d'être super Nazi ! Tout ceci est perturbé par plusieurs facteurs allant de la maturité en grandissant à la découverte d'une Juive dans la maison familiale.

Quand on parle de chosification, on comprend bien qu'il y a un usage de valeurs, d'actions, ou de phénomènes afin d'en tirer un bénéfice au détriment d'autre chose jugé plus subalterne. Si ici le film se permet de retirer la logique de l'équation en faisant tomber amoureux un gamin nazi endoctriné jusqu'au cou, il n'hésite pas non plus à instrumentaliser la cause des Juifs pendant la guerre comme un porte-étendard des valeurs républicaines américaines. En plus d'être les seuls libérateurs de la ville en question (alors même qu'on nous décrivait que le monde entier était aux portes de la ville, Soviétiques compris), en plus de nous avoir abreuvé d'image et d'imaginaire sur le nazisme pour bien accentuer le Mal du Bien, l'Amérique est aussi montrée ou sous-entendue comme la voie de la liberté, la voix de la raison ! Elle est cette mélodie qui fait danser les gens qui rêvent de liberté, qui sont contre les méchants, qui motive la rébellion, elle apporte les larmes en montrant aux spectateurs à quel point les nazis sont méchants (des fois qu'on ne soit pas déjà au courant) et à quel point les alliés sont bons, gentils. Toute cette construction nous donne l'impression d'être en face des premières réflexions d'un ado sur le monde qui nous entoure ! Il y a des très méchants, des très gentils, des fois il y a aussi des méchants un peu gentils, mais ils sont quand même méchants donc ça dégage. Le film se veut naïf, au niveau de son protagoniste, pourtant, c'est bien une problématique d'adulte qu'on nous montre. Et c'est d'ailleurs bien des adultes et une boite de prod qui est derrière le film. En d'autres termes, je n'ai pas la sensation d'avoir en face de moi l'évolution d'un enfant frappé par la violence, se rendant compte que son camp n'est pas le bon. J'ai une vision bigarrée et héroïque de comment montrer la bonne et la vraie voix à nos enfants au travers de celui que nous suivons ! Le film se coupe sur une scène de danse mais je suis sûr qu'une scène de plus nous aurait posée dans un bar entre chewing-gum et coca sous un poster de Pin-Up.

Cette mystification du héro, de l'aura très Soft-power, a d'autres conséquences, dont le principal reste l'intérêt du film. On nous raconte une histoire se voulant tragique mais en réalité terriblement prévisible et gentillette, voire larmoyante. On ne sait plus sur quel pied danser ni pourquoi. Est ce les valeurs humaines telles que l'amour qui sont la solution à tous nos problèmes ? Est ce les enfants qui sont les éternelles victimes de la guerre ? Et ce, quel que soit leur camp ? Est ce les Juifs qui sont les victimes et les libérateurs comme figure de survivant ? Est ce simplement un film montrant une solution contre l'endoctrinage ? L'Amérique est elle la seule protection contre l'impérialisme tyrannique étrangé ? On ne sait pas. En réalité, ce n'est qu'une autre comédie dans le thème historique sans queue ni tête. On commence méchant sous occupation, on finit libéré et gentil, de noir en blanc, d'horrible enfant collabo à idéal d'avenir. Tout n'est que paraître sans fond, émotions artificielles, chaque scène est aseptisée au possible pour rendre cette enfant adorable aux yeux de tous au point de rendre même canon un accident de guerre. Tout est propre, les scènes de bombardements sont si millimétrées qu'on en devinerait où les explosifs sont positionnés.

C'est donc une vraie cacophonie d'idéalisme sur la guerre, un pamphlet sur la méthode Made in Amérique, de comment être un bon citoyen. On retiendra qu'il doit être rebel, ne se plie pas à la tyrannie et surtout qu'il est profondément altruiste envers toute personne, qu'il aide sans compter. Le tout bien sûr quelque soit le contexte ! C'est d'ailleurs pour ça que tous les résistants du film sont morts, car nécessairement martyres (ils pourraient voler la gloire des libérateurs en plus la honte. ), c'est pour ça qu'il n'y a pas de prisonniers à la fin. Tous les soldats sont nécessairement mauvais même notre capitaine qu'on s'efforce de montrer depuis le début comme plus soldat par circonstance que réel nazi. Bien sûr, comme toute mauvaise langue que je suis, il est tentant de rappeler les faits et actes de barbarie perpétrés par "les libérateurs", même libérateurs qui pratiquent encore aujourd'hui de superbes méthodes de libérations très blanches et pures. Bizarrement, ces faits sont absents de toutes ses productions à gros budget. C'est sûr que c'est moins commercial et vendeur qu'un enfant sauveur de Juif et abandonnant le nazisme à la culture américaine, j'en conviens ; ceci dit, la présence de ce genre de détails aurait fait passer ce film enfantin à quelque chose d'un tant soit peu adulte ; car à l'heure actuelle, le film aurait pu s'appeler "Jojo la victime rencontre les gentils !" Ça ne m'aurait pas plus choqué.

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le 22 oct. 2023

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