Variation autour du Vertigo (1958) d’Alfred Hitchcock, Single White Female déplace l’intrigue de San Francisco à New York et renverse le point de vue adopté puisque la fétichisation n’est plus celle de la femme blonde par un homme soucieux de retrouver son amante mais celle d’une jumelle meurtrie voulant transformer sa colocataire en sœur de substitution. Dès lors, il ne s’agit plus de déguiser l’autre mais au contraire d’emprunter ses vêtements, sa coupe, sa façon de marcher et de parler ; en somme, il faut devenir l’autre, éprouver l’altérité dans son apparence pour mieux la travailler en profondeur et opérer sur elle le même processus de transformation, quoique située à l’intérieur.

L’espace de l’appartement, que Barbet Schroeder aborde en huis clos, explicite cette entrée dans l’intimité de deux femmes qui doivent – c’est là le projet de Hedy – fusionner pour ne former qu’une seule personne ; il occasionne de nombreux plans où les comédiens sont nus ou dénudés qui interrogent le regard du spectateur et la pulsion scopique qui le gouverne : sa présence est-elle acceptée ou ignorée des personnages ? est-il moral d’écouter s’ébattre les amants ou les amis échanger sur leurs doutes par l’intermédiaire d’une bouche d’aération ? de fouiller dans les affaires d’une amie, de lire son journal et ses secrets ?

Le long métrage offre une mise en abyme permanente sous forme de dialogue amusé avec son public, en témoigne le plan inaugural sur les deux jumelles qui nous regardent directement. Il allie ainsi la lourdeur de la démonstration psychanalytique et la légèreté tonale, conscient des effets de manche qu’il utilise comme autant de fusils de Tchekhov parfois fonctionnels, parfois inopérants, parfois retardés. L’appropriation du genre codifié du thriller paranoïaque, dont l’efficacité progressive et la rigueur de mise en scène rappellent le récent The Silence of the Lambs de Jonathan Demme sorti l’année précédente, contient donc la critique des artifices nécessaires à sa bonne marche, regard européen de Schroeder sur le divertissement américain.

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le 19 avr. 2024

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