1974 : News from Chantal Akerman. Deux ans après avoir ausculté la topographie d'un lieu vierge de tout être humain avec le fascinant et conceptuel Hotel Monterey la jeune cinéaste belge investit celui d'une chambre, le/la filmant sous toutes les coutures possibles et imaginables : en résulte Je, tu, il, elle, essai égotiste mais profondément libre et dense dans le même mouvement d'ouverture artistique. Film aux dehors rêches, réfutant chaleureusement toute forme de séduction racoleuse et/ou univoque celui de Chantal est bel et bien le sien, proprement et figurativement : plans fixes aux quelques lignes de force rares mais pleinement massives, corps féminins mis à nu annonçant quelque éros fusionnel et saisissant de justesse dramaturgique, gestes répétés d'engloutissement de cuillerées de sucre en poudre scandés par les poses de ladite réalisatrice, changeant de position au gré des déplacements de son matelas peu ou prou encombrant...


En trois parties de durée passablement égale Je, tu, il, elle montre une femme ( Akerman, donc ) parlant d'elle-même, par elle-même et peut-être pour elle-même : tutoyant d'abord la caméra dans l'intimité de sa chambre jonchée de lettres au diapason d'une voix-off écrite par sa personne ( les préfigurations du saisissant News from Home se font d'ores et déjà sentir...), elle s'intéresse dans un deuxième temps à un camionneur arborant les traits d'un Niels Arestrup dans la force de l'âge, aussi bavard que viril et mal léché... pour finalement nouer un lien charnel et à priori passionnel avec une femme au demeurant aussi jeune qu'elle.


Enchaînant avec une précision clinique les plans fixes et autres plans-séquence exposant autant de situations pleinement intrigantes et grisantes in fine Chantal Akerman pose en un film un authentique regard de cinéma, potentielle mentor féminine et discrète d'un réalisateur tel que l'insaisissable Gus Van Sant ( la dimension hybride dudit film, mêlée de concrétudes et d'abstractions, annonce le dispositif d'un film comme l'éthéré Last Days sorti une trentaine d'années plus tard ). Étonnant.

stebbins
8
Écrit par

Créée

le 14 déc. 2021

Critique lue 127 fois

2 j'aime

stebbins

Écrit par

Critique lue 127 fois

2

D'autres avis sur Je, tu, il, elle

Je, tu, il, elle
JM2LA
7

Silences nus

25.01.2010 : Première partie convaincante dans sa mise en scène de la dépression amoureuse avec des partis pris dramatiques passant par un geste quotidien détaché de son sens et qui rappellent en...

le 2 mars 2016

4 j'aime

1

Je, tu, il, elle
stebbins
8

Dans la chambre de Chantal...

1974 : News from Chantal Akerman. Deux ans après avoir ausculté la topographie d'un lieu vierge de tout être humain avec le fascinant et conceptuel Hotel Monterey la jeune cinéaste belge investit...

le 14 déc. 2021

2 j'aime

Je, tu, il, elle
Moizi
6

D&CO, une semaine pour tout changer

Film pour le moins particulier (je n'avais ni reconnu la réalisatrice dans le rôle principal, ni Niels Arestrup), très intéressant, mais aussi, il faut bien le dire assez long, alors qu'il dure moins...

le 25 févr. 2015

2 j'aime

10

Du même critique

La Prisonnière du désert
stebbins
4

Retour au foyer

Précédé de sa réputation de grand classique du western américain La Prisonnière du désert m'a pourtant quasiment laissé de marbre voire pas mal agacé sur la longueur. Vanté par la critique et les...

le 21 août 2016

42 j'aime

9

Hold-Up
stebbins
1

Sicko-logique(s) : pansez unique !

Immense sentiment de paradoxe face à cet étrange objet médiatique prenant la forme d'un documentaire pullulant d'intervenants aux intentions et aux discours plus ou moins douteux et/ou fumeux... Sur...

le 14 nov. 2020

38 j'aime

55

Mascarade
stebbins
8

La baise des gens

Nice ou l'enfer du jeu de l'amour-propre et du narcissisme... Bedos troque ses bons mots tout en surface pour un cynisme inédit et totalement écoeurrant, livrant avec cette Mascarade son meilleur...

le 4 nov. 2022

26 j'aime

5