Comment un simple buffle échappé d'un abattoir illégal peut mettre sens dessus dessous la vie d'un village indien. Voilà pour l'argument, très simple, de ce joli long métrage, qui détourne une fête traditionnelle, le Jallikattu donc, pour nous parler de la société indienne rurale.


Le film démarre fort : un montage saccadé d'images, synchronisé avec la musique, installe le décor et l'ambiance. Viande tranchée sur les étals des marchés, mains tendues pour l'acquérir, scènes quotidiennes (dont un mari qui gifle sa femme)... Brillamment réalisé... mais pas trop ma tasse de thé car assez tape-à-l'oeil.


Nous tenons là en effet, dès le début, la principale faiblesse du film : le réalisateur cherche un peu trop à épater, par exemple avec la musique, intrusive et démesurément tribale. Lijo Jose Pellissery veut montrer la bestialité de l'être humain, c'est entendu, cela lui inspire de superbes scènes, mais il y va aussi parfois au stabylo, comme dans l'ultime séquence où ce sont des hommes préhistoriques qui se partagent un buffle...


Reprenons la chronologie. Après ce début tonitruant, le rythme baisse et la traque de la bête ne parvient pas toujours à passionner. Pellissery met en scène la rivalité avec un village voisin, les rapports tendus avec la police, et fait émerger quelques individualités : l'homme qui a vu son champ de plantes médicinales piétiné, l'homme qui marie sa fille et qui se préoccupe de ne pas avoir de viande, cette fille qui souffre d'une sale réputation dans le village... Et surtout, Antony et Kuttakan, ce dernier voyant dans l'échappée du buffle une occasion de se venger du premier, qui l'envoya en prison. Cela nous vaudra un combat dans le style "film de kung fu", à la limite du comique. A d'autres moments, c'est vers le western que lorgne Pellissery : cf. la scène où tout le monde se barricade, attendant le buffle, laissant la rue vide, où un vendeur de riz déambule seul. Un peu plus loin, le buffle se précipite dans une banque, ce qui confirme le clin d'oeil.


Plus généralement, il met en scène une vitalité exubérante, qu'elle soit dans la joie ou dans l'affrontement, caractéristique de l'Inde, pour ceux qui y sont allés : une énergie électrique qui circule en permanence, un côté chaleureux aussi, que montre bien le film.


Pellissery ne manque pas de ressources donc, pour faire vivre sa traque, sans parvenir totalement à annihiler l'effet répétitif de la foule envahissant les rues du village, les ponts (joli séquence sur le pont en plongée) ou la forêt. Heureusement, il nous gratifie de deux scènes jubilatoires.


La première est l'extraction du buffle de son piège. C'est Antony, qui a construit le piège. Par orgueil et par rivalité avec Kuttakan qui a été accueilli en héros, il entend bien récupérer lui-même l'animal. En deux temps trois mouvements une potence est bâtie (autre référence au western) et tout le village, torche à la main, s'active pour faire descendre Antony puis hisser la bête. Las, la pluie se met de la partie et le satané buffle s'échappe de nouveau ! Tout cela est moyennement crédible bien sûr : dans la vraie vie, il y a longtemps qu'on lui aurait logé une balle dans la tête. Qu'importe puisque cela nous donne droit à une scène au souffle épique.


Un souffle qu'on retrouve, au carré, dans la scène finale : meurtrie par les muletas, le buffle vient échouer dans un champ où Antony, arrivé premier sur les lieux, s'apprête à lui donner enfin le coup de grâce. C'est sans compter avec la foule qui veut sa part de viande après en avoir bavé. Une multitude de torches fondent sur Antony, se ruent les uns sur les autres pour aboutir à une mêlée boueuse. Magistral !


Et le buffle alors ? Jamais il n'apparaît comme une figure diabolique, façon Dents de la mer. Le propos est clair : c'est l'homme la véritable bête. Pas d'une originalité folle, je le concède. Pour souligner le propos, le film nous montre un vieux, malade, qui se relève péniblement pour contempler un buffle inoffensif. Toujours cette petite tendance au coup de stabylo.


Que penseront les Indiens de l'image que ce film donne d'eux ? Ni plus ni moins que des sauvages, ridicules dans leur impuissance à maîtriser un animal d'élevage, moutonniers et naïfs dans l'acclamation d'une idole (Kuttakan, au retour triomphal), incapable de maîtriser leurs pulsions. Toute sacralité est évacuée : pour le coup, le connaisseur intime de l'Inde ne s'y retrouvera pas, tant ce pays exsude par tous les pores les rituels ancestraux.


Malgré quelques faiblesses donc, le film, qui fait l'effet de vagues par ses variations d'intensité, mérite d'être vu. Ne serait-ce que pour la crête de ces vagues.


7,5

Jduvi
7
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le 6 sept. 2020

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Jduvi

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