Riad Sattouf est un petit malin.

2009, le bédéaste reconnu sortait Les Beaux Gosses, une sorte de retranscription sur grand écran de ce qui fit son succès dans le monde de la bande dessinée, notamment avec son célèbre La Vie secrète des jeunes. La recette faisait mouche, tant auprès de la critique que du grand public, et un acteur naissait, Vincent Lacoste, génial dans son rôle d’ado boutonneux.

Mais Riad Sattouf est un petit malin, et tout attendu qu’il était au tournant, il ne s’est pas contenté de suivre le chemin qui était pourtant tout tracé pour lui, celui qui l’aurait fait devenir une sorte de Judd Apatow de l’adolescent français, qui se serait attaché tout au long d’une filmographie honorable à dépeindre sur le ton de l’humour avec brio la vraie vie des pubères.

Riad Sattouf est un petit malin (on a vu le discours de François Hollande, depuis, on fait plein d’anaphores, excusez-nous), d’avoir soumis en guise de deuxième script celui de Jacky au Royaume des Filles.

Pour faire court, Jacky au Royaume des Filles nous plonge au royaume de Bubune, dictature féministe où l’homme n’est qu’esclave, et où les hommes, de ce fait, rappellent dans leur ensemble la plastique d’Hervé des Beaux Gosses. D’ailleurs, c’est à Jacky que l’on s’intéresse (Vincent Lacoste, encore génial), puisque ce dernier, ici beau gosse du village, caresse l’espoir de devenir le mari de l’héritière du trône (Charlotte Gainsbourg), et ainsi être adoubé « Grand Couillon ».

Riad Sattouf est un sacré petit malin. Jacky au Royaume des Filles est de ces films dont on se demande à qui ils s’adressent, et dont on espère, sans trop y croire, qu’ils finiront par trouver leur public. Steak, il y a quelques années, avec Eric et Ramzy, avait pris une monumentale fessée au box-office, car s’était révélé tromperie sur la marchandise pour tous ses potentiels aficionados. Alors Jacky, à qui plaira-t-il ?

Autrement plus élégamment anti-système que Dieudonné

Théoriquement, Jacky au Royaume des Filles devrait enthousiasmer tous ceux qui clament haut et fort en permanence leur refus du « système », gageant qu’un jour quelqu’un le bouleverserait et proposerait quelque chose de couillu et complètement nouveau. Car c’est à un humour sortant des sentiers battus que l’on est ici conviés, où la pendaison peut être rigolote, où la nourriture ressemble à du sperme et où les viols de femmes sur des hommes font rire.

Difficile alors de concevoir un cadre, un environnement digne d’un « nouveau » monde où philosophie, éthique et morale se doivent, plus que d’être simplement inversées, d’être complètement réinventées. C’est peut-être dans cette ambition extrême – et vouée à l’échec sur le papier – que le film rencontre à la fois ses plus beaux moments et ses petits points faibles. Parce qu’à la manière de ce que Dupieux essayait de mettre en place dans son tout aussi ambitieux Steak, prenant le prétexte de situer l’action de son film dans un futur où les critères de l’humour auraient été tant bouleversés que nous humains du présent ne pourrions pas les comprendre, Sattouf ancre ses personnages dans une réalité complètement nouvelle, de laquelle ressort un humour qui, retranscrit à notre monde actuel, ne fonctionnerait pas du tout.

C’est dans ce contexte atemporel et à architecture méconnue (Jacky au Royaume des Filles a été tourné au fin fond de la Géorgie) que le film atteint un sommet d’audace unique, quittant définitivement le chemin du petit film français « bien fait », « bien sympa », « bien sous tous rapports », c’est à dire aussitôt vu aussitôt oublié… Non, faire CE film à CE moment, c’est avoir réussi l’impossible : faire vivre à l’écran un cinéma qui prend réellement des risques. Et c’est là que Riad Sattouf est un sacré petit malin, parce que le film est on-ne-peut-mieux contextualisé dans sa filmographie. Il n’aurait pas eu de raison d’être, ni les moyens desquels il a bénéficié, sans que Les Beaux Gosses aient vu le jour avant lui.

Jacky au Royaume des Filles raconte l’histoire d’une rébellion, l’histoire d’un changement, l’histoire d’un petit mec qui souhaite retourner un grand système. Riad Sattouf est ce petit malin, et l’on souhaite vraiment pour la bonne santé du cinéma français que son film réussisse le pari fou de trouver son public.
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le 21 janv. 2014

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