Difficile de nier le vivier, certes un peu fourre-tout, que représente le cinéma d'épouvante outre-Atlantique, véritable fleuron de l'industrie indépendante américaine. Un peu à l'instar d'une brocante, on y trouve de tout, de la superbe occasion complètement surprenante, à l'article vu et revu, en passant par la loque bonne pour le container à ordures. Les propositions sont multiples et pullulent comme des bourgeons, hormis qu'ici c'est en toutes saisons. Mais soyons honnête, les véritables bonnes occasions sont rares, et les chineurs de frissons se cassent souvent les dents sur de l'insipide. Alors, lorsqu'une se présente enfin, tout le monde est aux aguets, prêt à dégainer. Dernier exemple en date avec "It Follows", second long métrage d'un cinéaste inconnu au bataillon, encensé par la presse et une bonne partie du public lors de sa sortie en février dernier.


David Robert Mitchell, le cinéaste susmentionné, s'inspire d'un de ses propres songes récurrents pour écrire le scénario de "It Follows" : être suivi inlassablement et sans explication par une entité menaçante et silencieuse que lui seul pouvait voir. Cauchemardesque, n'est-ce pas ? Ainsi, son héroïne se retrouve confrontée à ce phénomène inquiétant et paranormal suite à une relation sexuelle apparemment anodine avec un jeune homme fraîchement rencontré. Où qu'elle soit, quoiqu'elle fasse, quelqu'un marche intarissablement vers elle. Rien ne peut arrêter la marche funeste de cette mort personnifiée, rien ne semble rationnel, et la "chose" peu prendre différentes apparences pour poursuivre son cruel dessein. Si la jeune fille laisse cette menace s'approcher d'elle, elle mourra. Seul moyen d'échapper à cette danse : coucher avec quelqu'un, qui se verra à son tour poursuivi par cette étrange malédiction...


Le propos est donc plutôt original, même si assez curieux. En tout cas, cela change des scenarii sans idée ni inspiration, pompant et repompant toujours les mêmes thèmes et façons de les développer. Mitchell a au moins le mérite d'innover, et cette prise de risque est à saluer. D'autant que celui-ci, outre sur papier, montre également des aptitudes plutôt séduisantes derrière la caméra. En effet, sa mise en scène est impeccable, frôlant le sans-faute. C'est épuré et maîtrisé, les plans sont précis et bien pensés, les mouvements de caméra fluides et assurés, quand la photographie est une vraie réussite. Surtout, Mitchell parvient à faire ce que beaucoup tentent en vain : instaurer une ambiance véritablement oppressante, un climat de tension sombre et angoissant qui vous captive et vous scotche au fond de votre fauteuil. Petit plus, il fait ça avec très peu finalement, jouant sur une peur primale et ultra-simple. Mais ça marche.


De ce fait, la première heure de "It Follows" est une victoire sur toute la ligne, que ce soit niveau climat, réalisation, frissons, et même interprétation, puisque les jeunes acteurs composant le casting, notamment le duo Maika Monroe – Keir Gilchrist, s'en tirent avec les honneurs. On est tour à tour happés, fascinés, effrayés, interloqués, et on savoure pleinement de se trouver devant un objet horrifique (enfin) efficace, renouvelant les codes avec un certain brio. Même si au final on sent à plein nez quelles sont les influences de David Robert Mitchell, ce dernier à su s'en affranchir pour se les approprier. L'ombre du génie John Carpenter plane tel un fantôme au-dessus de ce film, l'hommage à l'incontournable "Halloween" étant particulièrement appuyé. Comme celui qui semble être un de ses idoles, le cinéaste débutant livre ici un objet dénué de tout artifice et de grandiloquence, quasi exsangue, sans effets spéciaux, basé sur une atmosphère étouffante et stressante. Sans oublier l'excellente bande-son à base de synthétiseurs et de musique électronique, qui fait évidemment de suite penser à ce que compose le père cinématographique de Michael Myers. On peut y voir aussi un ascendant avec le cinéma d'horreur asiatique, notamment "Ring" d'Hideo Nakata, avec celui de Jacques Tourneur ("La Féline"), mais aussi de David Lynch pour le côté extrêmement mystérieux, nébuleux, insaisissable et profondément énigmatique. "It Follows" est ainsi une œuvre hermétique, jouant beaucoup avec l'indéfinissable et le bizarre. Les adultes en sont, par exemple, presque totalement absents, quand l'époque où se déroule l'intrigue n'est jamais clairement définie, les protagonistes ayant aussi bien recours aux vieux téléviseurs noir et blanc qu'à des gadgets high-tech. Et cette malédiction qui poursuit continuellement Jay, le personnage principal, semble inexplicable et reste inexpliquée. Certains y verront peut-être une parabole sur les MST, mais cela reste très difficile à affirmer, tant le réalisateur se refuse à tout interprétation ou moralisation.


Mais voilà, à trop vouloir être obscur et impénétrable, "It Follows" en devient complètement abscons et distant, et finit par errer sans aucun but précis. Après une heure presque parfaite donc, la belle surprise retombe un peu comme un vieux soufflé au fromage. On a la vive impression que Mitchell, après nous avoir baladé comme un chef, ne sait plus du tout où il veut aller. Il tourne en rond, les bonnes idées se font rares, la pression s'estompe littéralement, et l'adhésion ne prend plus vraiment. En témoigne la scène de la piscine, tellement inutile qu'elle en devient presque grotesque. Le film finit par ressembler à son propos, il marche tout droit, sans but ni justification, et semble ne plus pouvoir s'arrêter. Ce n'est pas forcément une justification et/ou une explication qui aurait pu rendre le final meilleur, non. Mais juste une idée précise de savoir où terminer sa course, au lieu de marcher en vain. Peut-être qu'un meilleur montage, lequel aurait amputé le film de certaines scènes et/ou de plusieurs minutes, aurait rendu la chose plus efficiente... Peut-être un peu plus de maturité aussi, ce qui aurait permis de tenir la distance après avoir si bien couru pour finalement s'écrouler à quelques mètres de l'arrivée... Malgré ce gâchis largement dommageable, "It Follows" reste néanmoins un véritable objet de curiosité, à forte charge esthétique et symbolique, qui vous suit encore longtemps après visionnage.


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JeanVacances
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le 5 oct. 2015

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