Travaillant depuis plusieurs années sur les clicas, gangs mêlés à plusieurs types d’activités illégales, le cinéaste américain Justin Lerner se saisit du sujet dans Infiltrée sans caricaturer le désir de vengeance de son personnage principal. C’est qu’à la manière de son infiltration progressive, la femme attend patiemment de découvrir la vérité pour prendre les choses en main et faire justice personnelle. Disparue après une soirée, une jeune femme semble être mêlée à un gang dont son petit ami est un partisan. Sur cette piste, sa sœur Sarita (Karen Martinez) est prête à tout pour la retrouver. Cela ira jusqu’à aller s’infiltrer dans le milieu, et devenir un membre à part entière.


Lerner utilise le plan-séquence à plusieurs reprises, quand elle entre dans les boîtes de nuit en pleine mission ou suit l’action du gang. Cette utilisation classique du procédé permet de cultiver le doute sur la suite de la péripétie à l’écran, bien qu’elle puisse paraître artificielle tant elle est présente. Toutefois, le réalisateur donne de la crédibilité à l’environnement mafieux qu’il filme en évitant un manichéisme complet, principalement par Andrés (Rudy Rodriguez) qui constitue un prisonnier de la clica. Parce qu’il est rapidement introduit qu’il n’est pas possible de faire marche arrière, de se sortir de ce milieu, la dramatisation du quotidien de ses membres prend tout son sens. Andrés ne peut pas s’émanciper davantage que le protagoniste, vivant dans une routine très éprouvante en l’absence d’un père criminel.


A ce titre, le motif de la mort est souvent suggéré et illustré de très loin. En voiture ou aperçu du point de vue de Sarita, il faut attendre la fin du long-métrage pour que le meurtre soit effectué par elle. Cela est d’autant plus logique que le travail d’infiltration auquel la femme réussit tant est possible par sa capacité à ne pas surréagir, rester distante de ses émotions. La clé du film se joue dans l’idée de se faire violence, de ne rien dire et retenir sa rage. Cette difficulté psychologique à subir est parfaitement retranscrite par l’interprétation juste de Karen Martinez, actrice issue du Guatemala comme une partie du casting à l’écran. L’écriture du scénario reste parfois simpliste, et l’absence de la police dans la plupart des situations évoquées est dommageable tant elle aurait pu accroître le danger et le réalisme. Il faut reconnaître que la violence extrême reproduite par le milieu de jeunes impressionne malgré tout, surtout que le metteur en scène fait jouer des habitués de gang de Puerto Barrios.


Infiltrée est un bel effort de retranscription de ces gangs et la pauvreté du pays où les femmes ont une importance certaine. Lerner n’exagère pas leur rôle, parfois central dans ces milieux au Guatemala sans se contenter de ne délivrer qu’une œuvre ultra-violente. Il y a une passivité de ce monde social qui s’observe devant la réalité tragique se déclinant sur les lieux distincts, et Sarita ne paraît pas vraiment surprise de connaître le sort de sa sœur. Il n’y a pas de temps mort et une recherche graphique originale, de quoi pardonner certains ressorts scénaristiques éculés l’éloignant de l’authenticité souhaitée.

A retrouver en intégralité : https://cestquoilecinema.fr/critique-infiltree-un-terrain-alterable/

William-Carlier
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le 28 août 2023

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