Je suis obligé de reconnaître que je ne savais pas qu'un compositeur tchèque du XVIIIe siècle, ayant fait la majeure partie de sa carrière en Italie, du nom de Josef Mysliveček (par pitié, ne me posez pas la question de comment ça se prononce !), avait existé.


A ma décharge, malgré ses quelques succès fulgurants, avec l'admiration de Wolfgang Amadeus Mozart lui-même en prime (ouah !), lors d'une existence peu longue de 43 ans (après, il fait petit joueur à côté de Mozart ou de Schubert pour ce qui est de la longévité du passage terrestre !), il est tombé dans l'oubli le plus quasi total. Au cours de son existence, il commence tardivement à 26 ans (passé l'intro qui retrace ses sordides derniers moments dans la pauvreté, toujours obsédé par son art, le film débute à ce moment-là !), après avoir travaillé, contraint et forcé, pour son père meunier, débarque en Italie où il parvient à percer grâce à l'aide d'une aristocrate, connaît de nombreux succès musicaux, fait tomber à une vitesse grand V de nombreuses femmes sous son charme, avant d'attraper la syphilis qui lui bouffe son visage (au sens propre du terme... félicitations à l'équipe maquillage pour le réalisme, au passage !) et de décéder dans le plus grand dénuement, à cause de son incapacité à gérer correctement ses finances.


Quand on pense "film se déroulant au XVIIIe siècle", n'importe quel réalisateur s'essayant à l'exercice s'incline face au monument kubrickien Barry Lyndon. On retrouve de ce chef-d'œuvre par la manière réaliste dont les séquences d'intérieur sont éclairées, comme pour donner l'impression qu'une caméra a pu voyager dans le temps et faire un documentaire de ce qu'elle a filmé. En outre, quand on pense "film se déroulant au XVIIIe siècle sur un compositeur", il y a l'obligation de s'incliner devant Amadeus du regretté Miloš Forman, compatriote de Petr Václav. Oui, il était vraiment temps d'introduire le talentueux réalisateur d'Il Boemo(d'après le surnom donné à notre personnage, signifiant dans la langue de Dante "celui qui vient de la Bohême" !).


Mais Václav s'éloigne de l'exubérance, de l'énergie flamboyante du Forman pour aller vers un ton plus sombre, plus morbide, plus fataliste. De plus, l'ensemble n'hésite pas à aller titiller la trivialité, à l'instar du roi, Ferdinand Ier, qui défèque dans un pot de chambre ou de la maladie touchant notre compositeur, montrée de la façon la plus crue qui soit.


Quant au protagoniste (incarné par le beau gosse Vojtěch Dyk, donc la vraisemblance est poussée au maximum pour ce qui est du fait que son personnage n'ait pas à bouger le plus petit orteil pour que les demoiselles fondent devant lui instantanément !), la portraitisation est ambiguë. En plus d'être un séducteur naturel, il est ambitieux, mais dans le même temps naïf, parfois veule. C'est toute la complexité et les contradictions de l'être humain. Tout au long de ses nombreux déplacements dans la Botte (on le suit en constant mouvement !), en fonction des mécénats et des engagements, il croise une galerie fascinante d'êtres féminins, quelquefois soumis, souvent forts, avec un caractère bien trempé. Que c'est bon d'avoir affaire à des personnes crédibles et non pas à des stéréotypes.


Pour ce qui est de la musique, les morceaux sont agréables. C'est du Mozart avant l'heure, en moins bien, en moins mémorables, mais excellents. Et il y a une séquence qui résume parfaitement cette impression. Mysliveček rencontre un gamin du nom... devinez quoi ?... de Mozart. Celui-ci, heureux de voir en vrai son idole, lui demande gracieusement d'interpréter une de ses compositions sur son clavecin. Mysliveček s'exécute volontiers. Une fois qu'il a terminé, l'enfant prend sa place, rejoue ce qui vient d'être joué, tout en y apportant de nettes améliorations, sous le regard triste et admiratif du musicien tchèque.


Pour en revenir sur un plan plus technique, je ne sais pas si Václav a eu recours ponctuellement à du CGI pour l'aider dans cette entreprise (si c'est le cas, ça ne se voit pas du tout, donc qu'il en ait utilisé ou non, c'est réussi !), mais que ce soit pour les intérieurs que pour les quelques extérieurs, la reconstitution est impeccable. Cela fait plaisir de voir que le niveau d'exigence des Kubrick, des Visconti, des Forman, des Fellini est toujours possible à notre époque, contaminée par les fonds verts dégueulasses, les photographies lisses d'une laideur effroyable et les effets spéciaux pourraves. La splendeur des costumes et des décors fait le reste.


Remettre en lumière un destin incroyable, un artiste remarquable dans l'ombre depuis des siècles, c'est formidable. Mettre en scène un spectacle visuel et sonore qui soit un régal pour les yeux et les oreilles, ça l'est aussi.


Bref, les mélomanes seront ravis, tout comme les amoureux de la beauté, tout comme les amoureux de grand cinéma. Il Boemo è bellissimo.

Plume231
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le 21 juin 2023

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Plume231

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