Entre le blanc et le noir
A chaque fois que je regarde un film en noir et blanc postérieur aux années 70, je me pose d'abord cette question : pourquoi le réalisateur a-t-il voulu montrer son oeuvre sans couleur ? A vrai dire, pour Ida, la question ne se pose que très peu de temps.
Pawlikowski nous propose un long-métrage relativement court (1h15) mais assez dense. Le propos est simple et peut paraître binaire : une jeune apprentie nonne polonaise sort de son couvent le temps de quelques jours afin de retrouver ses parents morts sous l'occupation. Ainsi, on pourrait dès le départ s'attendre à un film vu et revu sur les différences entre l'austérité calme et ennuyeuse du couvent face aux réjouissances luxuriantes de la vie "normale". Sauf que Sister Act, cela a déjà été fait !
Ce qui m'a charmé dans ce film, c'est avant tout les jeux de lumière, d'où la signification de mon introduction à propos du noir et blanc. La première scène au couvent est calme, blanche, la caméra est fixe, il ne s'y passe rien. La première scène dans la ville renvoie aux yeux d'Ida, dans le bus, qui voit défiler la rue. Enseignes, échoppes, etc. La caméra bouge, cela vit, on peut percevoir des couleurs derrière le noir et blanc. On se rend compte que l'opposition n'est pas si évidente que cela.
La tante d'Ida est son opposé : j'ai même cru au départ qu'il s'agissait d'une prostituée ! Non, elle est juge pour le Parti Communiste. Mais elle boit, elle accumule les aventures d'un soir. Elle représente tous les péchés ou presque, à tel point qu'elle s'autorise le luxe de juger les hommes, alors que du point de vue d'Ida, il s'agit du travail de Dieu !
Mais en fin de compte, tout n'est pas tout noir ou tout blanc. L'homme qui avait recueilli les parents d'Ida pendant la guerre est aussi celui qui les a tués, à coups de hache. Mais il a également sauvé la vie d'Ida en la confiant à un prêtre quand elle est née. La tante d'Ida, toute comblée de vices qu'elle est, finit dans les bras de la jeune fille, attendrie face à tant d'émotions. Et ce jeune saxophoniste, n'est-il pas tzigane, comme il le prétend ? Il a donc bien plus de points communs que les nonnes du couvent, qui pourtant sont toutes habillées de la même façon ! J'étais à deux doigts de me dire que ce film était ennuyant, lorsque le coup de théâtre de la fin m'a pris : alors qu'elle avait renoncé à ses voeux, Ida constate que la vie en-dehors du couvent n'est pas si attrayante. Sa tante s'est défenestrée, le saxophoniste lui parle déjà de routine. Tout n'est pas noir ou blanc.
La caméra de Pawlikowski est par ailleurs très séduisante. Il a cette sainte manie de ne filmer les personnages qu'au haut du corps, voire même que la tête. Ainsi, les plans ne nous montrent que la tête des personnages au bas de l'image, et le reste est accaparé soit par la ciel soit par d'imposants bâtiments. J'y ai vu une forme de fatalité : les personnages d'Ida sont accablés par le poids de la vie, du monde, par son immensité. Ils ne sont rien face au destin, et ne semblent pas acteurs de leur propre vie. Aussi, n'est-il pas étonnant de voir plusieurs rebondissements à la fin, dans ce film qui pourtant paraît extrêmement lent.
C'est un concentré d'ambiguïtés, que le noir et le blanc ne cessent d'accroître. Je recommande beaucoup, par sa longueur et par la manière dont il est filmé.