HUNGRY HEARTS souffre d’un défaut majeur : il s’agit d’une histoire adaptée d’un livre, Il Bambino indaco par le réalisateur Saverio Constanzo. Non seulement adapté, mais torché, et mis en image sans âme.
Tout repose sur les deux comédiens Adam Driver et Alba Rohrwacher. TOUT. Aussi bien nous faire croire en l’amour présent dans ce couple, que pallier aux incohérences et au manque de crédibilité de l’histoire, que composer avec la gestion aléatoire de la mise-en-scène.


À posteriori, on se dit que la sobriété alliée à l’empathie auraient été les éléments les plus efficaces pour raconter la déliquescence de ce couple suite à la naissance de leur bébé.
Car la base de ce scénario est intéressante; observer sans prendre parti, le déséquilibre mental d’une femme sur sa – toute fraîche – famille. Une façon de mettre en perspective le sacro-saint instinct maternel face à la parentalité subite. Mais selon moi, ce récit ne peut se raconter que par quelqu’un ayant vécu ce genre de situation, de façon à appuyer par le réalisme et le détail, une situation somme-toute spectaculaire. Dans le cas de HUNGRY HEARTS, ce spectaculaire incite au voyeurisme froid plutôt qu’à l’identification.


Car si l’histoire originale écrite par Marco Franzoso à énormément touché le réalisateur, il a en tous cas, beaucoup de mal à le transmettre par l’image. Saverio Constanzo laisse globalement tourner sa caméra pour capter l’instant, mais malheureusement use d’artifices éculés pour signifier tout changement d’humeur.
Gros-plans sur les visages pour signifier l’intime… Caméra inclinée, prémices de désordres psychologiques… Focale courte pour exprimer tout point de basculement vers le tragique; rêves-métaphore trop évidents ; musique mélodramatique…
Bref. Sa mise-en-scène du drame manque sensiblement de subtilité. Au lieu d’amplifier l’intensité du moment, cela rend la caméra trop visible et casse l’immersion dans le récit. Raté.


Ce qui sauve le film, c’est la qualité de l’interprétation.
Adam Driver et Alba Rohrwacher méritent leur prix d’interprétation pour avoir réussi à étoffer par la finesse de leur jeu, des personnages sans réelle épaisseur.
Lui, possède ces irrégularités et imperfections de jeu créant la proximité avec son personnage.
Elle, d’abord fragile et timide, compose par la suite une folie s’exprimant exclusivement par les silences et regards significatifs, un ton et un accent (italien) impénétrables.
Pendant la première moitié du film, Saverio Constanzo pose simplement sa caméra et laisse ses comédiens interagir à l’écran, sans réel but ni directive. Grâce à eux, l’émotion naît, se fait même parfois très intense : leur rencontre, leur premiers instants de couple … Mais le réalisateur, conscient de tenir l’alchimie ultime, semble faire totalement confiance à ses comédiens au point prolonger ce schéma même lorsque le drame fait véritablement son entrée.



« Adam Driver et Alba Rohrwacher méritaient leur prix d’interprétation, pour avoir réussi à étoffer par la finesse de leur jeu, des personnages sans réelle épaisseur »



Ainsi, le jeu des acteurs – tout en étant particulièrement juste – ne colle bientôt plus avec l’énergie des scènes. L’écriture des personnages fait manifestement défaut;
Le réalisateur affirme ne pas vouloir émettre de jugement quant à ses personnages, ni sur Jude, trop passif, ni sur Mina, bornée jusqu’à la folie… Sauf que c’est tout l’inverse qui se créée: en cherchant simplement à capter les faits sans étoffer psychologiquement les personnages, Mina paraît n’être qu’une femme qui ne justifie jamais ses actes et met consciemment son nourrisson en danger… Face à un homme tout à fait normal, jusque dans sa lâcheté, prenant des décisions normales (un peu tardives, mais normales).
Un jugement et une prise de position s’établit presque malgré nous. Et par là, un déséquilibre. Par le déséquilibre, le manque d’empathie général, et enfin le désintérêt progressif. Plus le récit avance, plus le film souhaite nous placer dans un étau émotionnel, de par l’ampleur des dégâts et décisions prises en conséquences… La conclusion de l’histoire n’aura pourtant aucun effet sur nous, sinon un haussement de sourcil subit, et encore, plus réflexe, que cérébral.


En bref, HUNGRY HEARTS ne vaut réellement que pour ses deux comédiens talentueux, et la beauté de leur histoire d’amour naissante. Car dès que le drame rentre dans le récit, Saverio Constanzo confronte une émotion artificielle à la réalité d’une écriture et d’une réalisation défaillantes… En résulte une bien désagréable frustration.


Par Georgeslechameau, pour le Blog du Cinéma

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le 8 mars 2015

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