oct 2012:

Je sens que je vais avoir plus de mal avec ce film de Fellini à exprimer tout ce que j'ai pu ressentir à son visionnage. A bien des égards je suis un peu resté sur une sorte de défensive continue. Cela faisait si longtemps que je ne l'avais vu, une 20aine d'années, que je n'avais en mémoire que le final, barnum de plage pétaradant et spectaculaire. Bien que dans la plupart de ses films Fellini introduit constamment une part onirique qui fait beaucoup du charme de sa poésie cinématographique, j'ai le sentiment que ce film-là la développe davantage qu'à l'accoutumée. Et cette séance a sans doute été un peu trop consacrée à démêler le vrai du faux, ce qui m'a quelque peu déconcerté.

Cependant, je sens bien que cet onirisme, ce langage frappant entre les préoccupations de Guido (Marcello Mastroianni) et une traduction rêvée, des fantasmes plus ou moins cauchermardesques et une imagination créative, foisonnante, constitue l'essence même du film, peut-être même le chant d'amour de vie du cinéaste, en tout cas une analyse superbe d’auto-dérision, d'intelligence et surtout d'honnêteté d'un artiste sur son propre parcours, en tant que créateur comme en tant qu'homme avec toute les implications complexes qui le lient aux femmes notamment, et plus largement à la société, politique, économique et religieuse en premier lieu.

Je le vois bien et je suis persuadé que cette première lecture (celle d'il y a 20 ans ne compte plus) est sans nul doute un étape de franchie, nécessaire pour suçoter la substantifique moelle de cette œuvre richissime lors d'un prochain visionnage. Un peu trop sur la retenue, je n'ai pas manqué toutefois de remarquer tous ces éléments d'histoire personnelle illustrant la complexité d'un métier, mangée par celle d'un homme plein de désirs et d'amour, d'ambition, un simple homme confronté aux aléas de son existence. Je n'ai pas loupé non plus la délicieuse geste de tous les personnages qui se bousculent, avec leurs espaces propres, leurs histoires, leurs peines, leurs espoirs, leurs déceptions, leurs attentes surtout qui pèsent de temps en temps sur les épaules de Guido (dont le prénom est à ce sujet tout un discours) : lourdes sont les responsabilités que l'attention des autres lui fait porter.

Les comédiens sont pour la plupart excellents. Anouk Aimée par exemple m'étonne dans un rôle qu'on lui a rarement vue endosser, celui d'une femme jalouse, en colère, douée d'une certaine force, celle de la révolte, de la passion. Marcello Mastroianni? Foutre dieu, celui-là, on ne s'étonne plus : son charme né d'une assurance dans le jeu sans faille, la félinité de son corps, de ses attitudes, son visage de clown, l'agilité avec laquelle il passe d'une tonalité à l'autre font qu'il me ferait douter de mon hétérosexualité. Un des plus grands acteurs de tous les temps, impossible à oublier et à ne pas aimer, à moins d'avoir une drôle d'idée sur ce qu'est un jeu de comédien. Il est tellement juste, naturel, c'est affolant d'équilibre et de netteté.

J'ai vu ce film il y a maintenant près d'une semaine et j'ai déjà hâte de le revoir pour l'apprécier à sa juste valeur, sans avoir à m'arrêter sur telle ou telle scène en me demandant s'il rêve, imagine ou s'il fait face à une réalité désagréable. Je n'aurais plus alors qu'à laisser aller devant mes yeux ce mouvement perpétuel auquel Fellini semble destiner sa caméra. Le dynamisme de ce cinéma, ces plans qui n'en finissent pas de bouger, associés à la photographie de Gianni Di Venanzo tellement succulente que le dvd Criterion restitue avec une toujours aussi incroyable fidélité sont un appel à voir et revoir.

La générosité tactile, physique de ce cinéma suggère une italianité qu'on croirait presque contrefaite, car tellement proche des stéréotypes et des pseudos effets que l'on voudrait voir comme une caractéristique du cinéma italien, qu'à la fin tout cela finit par paraitre comme une grosse blague, un pied de nez grotesque à une pensée ridicule. Mais comme on retrouve de film en film cette même agitation, ces mêmes gens qui ne cessent de débouler devant et de s'interpeller bruyamment, d'exprimer tout haut et tout fort ce qu'ils ressentent les uns pour les autres, ces mêmes personnages vont et viennent devant la caméra la faisant danser jusqu'à nous étourdir... on est bien tenté de croire que le cliché n'est pas aussi factice, comme si Fellini avait tellement d'emprise sur le regard même que l'on porte à sa manière de filmer qu'il s'est établi par conséquent comme la référence du cinéma italien, on a fini par s'imaginer que le cinéma italien est d'abord fellinien. Encore un cliché qui en nourrit d'autres.

Il ne vient pas de nulle part ce mouvement, bordel? Est-ce que je ne serais pas en train de tomber dans ce piège facile, cette banale erreur dont le creux confine à l’abime dès lors que le manque de connaissance sur un artiste ou un "cinéma" (genre ou national) joue les maitres piégeurs? Fort probable. Espérons qu'un jour, à force de voir de vieux films italiens, je pourrai mieux ranger mes impressions, dans les bons emplacements, sur les bonnes étagères de l'histoire du cinéma italien... en attendant, permettez tout de même que je m'interroge, quitte à baver des conneries, je ne fais de mal à personne.
Alligator
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le 20 avr. 2013

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