Dans une baignoire d’Athènes, l’eau se teinte de sang présageant les bouleversements à venir. Le sang qui se déverse provient des larmes rouges d’Emy (Abigael Loma), une curiosité physiologique héritée de sa mère guérisseuse. Holy Emy s’ouvre alors avec deux éléments, l’eau et le sang, constitutifs de l’identité de sa protagoniste, issue de la deuxième génération de Philippin·e·s installé·e·s en Grèce. Pour son premier long-métrage, Araceli Lemos représente cette communauté invisible de la société grecque, dévolue aux emplois de maison pour les femmes et à la pêche pour les hommes, qui immigre à partir des années 1970. Travaillant dans une poissonnerie avec sa sœur Teresa (Hasmine Kilip) puis suivant les traces de sa mère auprès de la riche Madame Christina (Irene Inglesi), Emy s’inscrit dans la continuité de ce double héritage. Cependant, sa trajectoire sera un acte politique : celui d’avoir (enfin) la force d’être visible et d’exister au sein de la société athénienne pour et par elle-même.  


Avec Holy Emy, Araceli Lemos construit un cinéma profondément charnel où le corps des deux sœurs est le fruit de cette dualité identitaire, entre la Grèce (à l’instar de ce puissant plan où le ventre d’une Theresa enceinte se confond dans le paysage grec) et les Philippines (par la pratique de guérison d’Emy). Jusqu’alors fusionnelles, le départ précipité de la mère aux Philippines modifie la dynamique entre elles, chacune suivant ses propres désirs. Leur corps devient un territoire à appréhender qui retrouve, par l’incursion du surnaturel, son étrangeté originelle. Holy Emy prend la forme d’un récit initiatique où les digressions fantasmagoriques sont une manière de réécrire le réel athénien par le prisme d’un mysticisme philippin. Le surréel ainsi créé par Araceli Lemos devient l’espace d’expression d’un geste cinématographique pur brouillant une narration qui aurait pu être convenue. Autant film de genre que chronique sociale, l’œuvre semble imprévisible pouvant basculer sans cesse d’une réalité à l’autre.  


Le fantastique s’invite dans le récit à travers les pouvoirs, autant prodigieux que mortifères, d’Emy qui influent sur le destin des personnages qui l’entourent. En situant son récit au cœur d’une communauté chrétienne pratiquante, Araceli Lemos impose à son récit – via la « tante » Linda (Angeli Bayani) – un moralisme, marquant la domination du groupe sur l’individu. Faiseuse de mauvais miracles, Emy perturbe une croyance dogmatique prônant uniquement un fantastique dans l’écriture. Pour les profanes, ses dons nourrissent une avidité économique – le petit ami de Teresa, Argiris (Michalis Syriopoulos) voyant dans Emy une manière de sortir de sa condition précaire – et/ou sociale – Madame Christina utilisant ses dons pour asseoir sa position sociale. Par ses expérimentations mystiques, la jeune femme transcende sa propre condition de dominée et annihile les mécanismes d’exploitation des personnes racisées par les Grec·que·s. Holy Emy multiplie les fausses pistes interprétatives laissant exclusivement à sa protagoniste le pouvoir de s’auto-désigner.

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le 21 mars 2023

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