Hitler ... Connais pas est le tout premier film de Bertrand Blier, un film documentaire sorti en 1963 qui dresse un portrait à multiples facettes de la jeunesse du début des années 60 pour un cinéaste qui dix ans plus tard se fera porte parole de la jeunesse effrontée et chevelue des années 70 avec Les Valseuses. Hitler... Connais pas , hormis son titre provocateur qui évoque une jeunesse née après la seconde guerre mondiale, restera un film totalement à part dans la carrière de Bertrand Blier mais ce documentaire hautement cinématographique en noir et blanc fait incontestablement parti des grandes réussite du cinéaste.


Durant 15 jours de tournage en studio , Bertrand Blier va interroger séparément une douzaine de jeunes gens âgés entre 16 et 20 ans, garçons et filles, de différents milieux sociaux en leur posant des questions sur leurs parents, leurs espoirs, leurs jeunesses, leurs amours, leurs aspirations à travers des thématiques comme la famille, le travail, le mariage, les enfants, l'avenir ...


On pouvait à priori craindre le pire de ce petit jeu sclérosé de questions réponses et de cette mécanique de documentaire un peu rigide. Mais Hitler .. Connais Pas va vite se révéler être un film avec de véritables ambitions cinématographiques et une formidable dynamique interne. Jamais les questionnements ne sont présents à l'écran et le film par un astucieux et savant art du montage laisse aux différents protagonistes le soin de se livrer semblant même parfois en interaction les uns avec les autres. Le montage donne une grande dynamique à l'ensemble et il n'est pas rare qu'une confidence semble provoquer une réaction amusée ou consternée chez un autre intervenant alors que tous les entretiens ont été filmés séparément. Bertrand Blier pousse même ce petit jeu de correspondances jusqu'à nous faire croire alors deux jeunes gens parlent de leurs histoires d'amour respectives qu'ils sont en réalité en train de parler d'une seule et même commune histoire. Le procédé pourrait presque ressembler à un bidouillage un peu malhonnête si il ne servait pas totalement le propos globale d'un film décrivant une jeunesse à la fois disparate et uniforme dans ses histoires et ses espoirs. Car finalement dans cette jeunesse aux aspirations encore lointaine de mai 68 tous ou presque tous souhaitent atteindre une même forme de conformisme d'un épanouissement personnel fait d'indépendance financière , de réussite, d'amour et de bonheur. Les origines sociales dictent déjà les espoirs futurs le bien né se voyant brillant chef d'entreprise fustigeant un rien méprisant ceux qui manquent d'ambition et le défavorisé se rêvant modeste électricien et honnête père de famille pouvant offrir à ses enfants une enfance plus heureuse que la sienne.


Si ils sont une bonne douzaine à apparaître à l'écran certains et certaines marqueront bien plus que d'autres comme cette jeune fille très libre d'esprit, moderne et sauvage, dévoreuse d'homme qui couche pour l'hygiène et le plaisir sans grand attachement envers les hommes et qui ne s'imagine que mariée en blanc à un homme capable de l'entretenir tout en acceptant ses inévitables futures infidélités. A l'inverse je retiendrais également le témoignage et la fragile et hésitante voix de cette autre jeune fille, mère célibataire abandonnée par son petit amie, rejetée par sa famille dont la douceur semble cacher une profonde mélancolique tristesse. On retiendra également le naturel, le charme et le charisme qui bouffe l'écran de Zouzou, une mannequin, artiste, chanteuse et actrice qui fait ici une de ses premières apparitions à l'écran et qui par la suite tournera chez Rohmer, Zulawski ou Dugowson et sera accessoirement un temps la compagne de Brian Jones. Si globalement les témoignages se font sur le ton de confidences assez légères, le discours se fait parfois plus lourd quand l'un des jeunes raconte comment il a volé le sac à main d'une vielle dame, voir malaisant quand un autre jeune raconte comment il s'est retrouvé au commissariat pour ce qui ressemble fortement à une accusation de viol... Par petites touches, tantôt légère ou plus sombre se tisse lentement le portrait d'une jeunesse éternellement confrontée aux mêmes interrogations et aux même problématiques; une jeunesse devant s'affirmer, trouver sa voix, se conformer sans se perdre , explorer sa sexualité , s'affranchir de ses parents, trouver une voie professionnelle, trouver une voix intérieur, se préparer à devenir adultes.


Hitler ... Connais Pas est un joli film formellement parlant, dans un noir et blanc profond et magnifique la mise en scène de Blier caresse les visages, scrute les doutes, capture les regards qui se voilent de larmes, guette les incertitudes comme pour saisir le portrait d'une jeunesse entre doutes et certitudes, innocence et pragmatisme. Loin de se faire oublier l'outil cinématographique est ici pleinement intégré au processus même du film, l'image révélant lors de lents et délicats mouvements de caméra les techniciens au travail, les projecteurs , les micros comme si l'envers du décor faisait totalement parti du film lui même. Certaines images sont tout à la fois d'une grande beauté et d'une élégante simplicité comme cette jeune femme perdue au centre de l'image, cernée d'un noir profond avec juste au dessus d'elle le bras d'une immense perche au bout de laquelle pend un micro; seule face à elle même et ses confidences. Il faut aussi saluer la jolie partition de Georges Delerue qui accompagne le film avec douceur et délicatesse.


Bien que fan de Bertrand Blier je n'avais jamais vraiment eu envie de voir ce premier film dont le concept ne m'attirait pas vraiment craignant de trouver un truc un peu vieillot et emmerdant. J'avais tort et Hitler...Connais pas est une belle surprise qui mérite amplement d'être redécouverte pour constater qu'en un demi siècle les aspirations de la jeunesse n'ont pas radicalement changées et que l'éternelle jeunesse demeure l'éternelle confrontation et conformisation aux mondes des adultes.

freddyK
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le 12 janv. 2021

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