Déstabilisant. Le spectateur effectue des allers-retours permanents entre identification et mise à distance par rapport aux personnages. C'est ça l'originalité de ce film : il est complexe dans ce qu'il nous renvoie à propos de nous-même. Certains passages, parce qu'ils regorgent d'humanité, permettent au spectateur de se reconnaître et c'est souvent une expérience agréable que d'avoir l'impression qu'un film réussit à illustrer un sentiment qui nous a traversé. Mais d'autres, surtout ceux qui abordent l'intelligence artificielle, l'incapacité dans laquelle nous sommes de la comprendre, nos lacunes conceptuelles pour l'appréhender, sont absolument vertigineux et presque angoissants. Finalement je crois que là où Her se montre le plus émouvant c'est lorsqu'il transcende cette thématique de l'artificiel face à l'humain, c'est quand il réussit à toucher l'universel et à nous faire oublier qu'on regarde se filer une histoire d'amour entre un homme fait de chair et d'os et une voix faite de programmes et de clics. On oublie que ce qu'on regarde n'est pas (tout à fait) à l'ordre du jour, on oublie que c'est improbable voir absurde, et on se retrouve juste bouleversé par la sincérité des émotions évoquées et par l'intensité qui émane des dispositifs cinématographiques employés. Dans cette idée de dépassement des thématiques futuristes, la scène la plus marquante du film est à mes yeux celle où l'écran devient noir, où toute la dimension physique cesse d'exister et où le spectateur n'a plus que ses oreilles pour suivre le film. J'ai trouvé cette expérience unique et très forte en émotion, c'est probablement une des plus belles scènes d'amour que j'aie vue au cinéma. Alors qu'il n'y avait guère pour seul support que du son et plus la moindre image, la salle toute entière s'est tue, comme suspendue à ce qui se jouait dans ce dialogue amoureux. C'était une scène hors du temps. Toujours dans cette optique d'illustrer des thématiques transversales en les grossissant grâce aux recours futuriste, j'ai l'impression que Spike Jonze mène aussi, avec Her, une réflexion sur la solitude. Cette solitude que tous cherchent à combler en nouant des liens avec leurs systèmes d'exploitations, c'est un sentiment qui est partout, atemporel. Cette société où les hommes peuvent tomber amoureux d'un système d'exploitation nous paraît bien ironique, mais finalement elle illustre juste de manière plus explicite des choses qui existent déjà et existeront encore.