SPOILERS


Un ciné-concert fut l'occasion de revisionner cet opus.


Je crois qu'Harry Potter et le Prisonnier d'Azkaban est un film sur la jeunesse, et la vie. Banal, n'est-ce pas ? Oui, mais c'est fort, et ça résonne dans les tripes.


Première scène : Harry qui enchaîne les "Lumos Maxima" sous la couette. Cette scène a un double sens. D'un côté, le Harry Potter adolescent en 4è qui astique sa baguette. De l'autre, une note d'intention du film.
On notera que le livre que tient Harry dans cette scène est sur les sortilèges de puissance maximale (les "Maxima" du lore Wizarding World), et on sent déjà qu'Harry est si passionné et doué dans sa magie qu'il est capable de lancer des sorts extrêmement puissants. Scénaristiquement, c'est le premier "set-up" qui rendra crédible la capacité d'Harry à maîtriser si vite le "Expecto patronum !" et à le maîtriser totalement en fin de film. La lumière vive du patronus sera également un écho à cette scène d'ouverture où Harry éblouit l'écran avec une intense lumière blanche.
On notera que, cette fois, le titre du film ne s'affiche pas après un travelling majestueux dans les nuages, mais très près du sol, et donne l'impression de sortir du Lumos maxima d'Harry. C'est exactement comme ça que sera le film : plus près de ses personnages, du réel, et ce qui impressionne ce n'est pas le majestueux monde de la magie, mais son personnage principal lumineux, au milieu de l'obscurité nocturne.


Cuaron s'éclate. La seconde scène est un pur moment de satire sociale, avec cette famille d'obèses qui regardent la télé en écoutant la tante parler avec arrogance des gens de "mauvais sang" et les comparant aux chiens. Il s'y déploie la structure de toutes les scènes à venir : une alternance, en montagnes russes, entre le sérieux et le léger. Ici, on a d'abord le Harry humilié par sa tante adoptive à propos de ses parents, puis cette scène délicieuse et jouissive du gonflement.
On sent une deuxième fois la puissance d'Harry (il ensorcelle sa tante sans baguette : deuxième "set-up"), et surtout on sent l'adolescent qui se rebelle, ses sentiments se voient aux sorts qu'il lance qui font trembler la maison au fur et à mesure qu'il s'énerve, puis sont montrés de manière plus terre à terre lorsqu'il donne un coup de pied dans son lit, voit la photo de ses parents qui dansent, puis se barre de la maison. Les émotions fortes, les trop-plein de colère et les joies immenses seront légion dans le film, illustrant continuellement cet état d'esprit adolescent.
Harry traînant sa valise en pleine nuit, en silhouette, sans musique, perdu à l'idée de se retrouver enfermé pour avoir usé illégalement de ses pouvoirs, puis cette scène du parc qui grince avec sa musique angoissante, Sirius qui apparaît pour dire "Hey , recule ducon tu vas te prendre le bus !", et enfin tout le comique du contrôleur de bus, dans un environnement lumineux et loufoque, vous la sentez la montagne russe ?


De même qu'au bar on passe, en plan-séquence, d'un Harry au milieu des gens qu'il aime à une discussion, au milieu de l'obscurité, avec le père de Ron qui lui annonce qu'il est en danger de mort ; ou encore, plus tard, on passe des jeunes sorciers faisant des bruits d'animaux dans leur dortoir à Gryffondor à l'extérieur du château, en plein orage, où les détraqueurs rôdent.


Le détraqueur... Créature esthétique s'il en est. Cuaron s'éclate. Il joue sur la synecdoque de la glace pour créer des menaces de plus en plus démesurées : d'abord dans le train, avec la vitre qui gèle et la menace inconnue, puis en fin de film avec l'entièreté d'un lac qui gèle, annonçant, avant même qu'ils ne soient à l'écran, l'arrivée des terribles créatures, d'autant plus terrifiante cette fois que l'on SAIT de quoi elles sont capables, et qu'elles sont nombreuses (comme si on avait Alien : le 8è passager puis Aliens en l'espace d'un seul film...).
Mais surtout, créature symbolique. Cuaron oppose la lumière blanche et vive du patronus à ces créatures de noirceur, comme il oppose la jeunesse et la vie face aux plus grands désespoirs, comme il construit ses scènes en montagnes russes, d'une scène légère où la peur la plus profonde de chacun est ridiculisée par un petit sortilège ("Ridiculus !") à Lupin qui se jette devant son élève pour le protéger, ou, à l'inverse, d'un hippogriffe qui terrifie les élèves, dont Harry doit s'approcher sans se faire attaquer, à une magnifique envolée à travers le ciel une fois la peur dépassée.


Cette envolée d'Harry à dos d'Hippogriffe est vraiment l'une des scènes qui m'émerveille le plus de toute la saga (j'en ai eu les larmes aux yeux). Poudlard n'est plus le lieu de magie noble et tout propre que dépeignait Columbus (même si cela était moins marqué dans le deuxième film), c'est tout à la fois une véritable école, avec des jeunes qui font les cons, un lieu sombre et dangereux, et un endroit à part du monde où la nature prédomine, dans toute sa splendeur. Cuaron nous fait nous envoler et nous émerveiller tout autant de la magie de cet envol que de la somptuosité des paysages. La beauté de la nature est presque tactile tout au long du film : ici, Buck plonge une griffe dans l'eau, là, cette fleur gèle au passage des détraqueurs, et plus loin une nuée de chauve-souris nous frôle les cheveux. La beauté de cette scène de l'envol sur Buck réside dans cette nature généreuse et tactile, dans ce Harry jeune et libre qui expérimente des sensations nouvelles, et dans cette envolée musicale splendide signée John Williams.
Les musiques du prisonnier d'Azkaban sont marquantes parce qu'elles ont une identité forte, démarquée des thèmes des précédents opus, et cela est sûrement du au ton sans cesse décalé ou extrême de Cuaron, dans le comique, les joies et les terreurs, qui a inspiré une composition si sublime.


La joie, la vie, au milieu de la terreur, ce n'est pas simplement une description de la jeunesse, c'est aussi un climat social au sein du film. Poudlard, et par extension le monde des sorciers, vit dans la peur, passe son temps à se cacher derrière des barrières, qui ne servent à rien (confère cette porte du château qui se ferme en deux longs plans) : le vrai coupable n'est pas celui que la presse dénonce, c'est celui qui se tapit parmi nous, là où on ne le voit pas. Le système est dirigé par la peur : les détraqueurs comme police autoritaire autoritaire particulièrement hardcore, la bête sauvage (Buck) condamnée, alors qu'elle est innocente, par les caprices d'un jeune con dont la seule qualité est d'avoir une famille influente... À une échelle plus individuelle, Harry va à Pré-au-Lard malgré l'interdiction de McGonagall, et découvre au passage ce que le ministère veut cacher... Au-delà de la jeunesse, cet Harry Potter, c'est la rébellion, la vie qui trouve toujours un chemin (coucou Jeff Goldblum) malgré un environnement régi par la peur.


Je pourrais encore accumuler les exemples qui illustrent le thème du film, mais Dumbledore résume très bien l'idée pour moi : "On peut trouver le bonheur même dans les heures les plus sombres. Il suffit simplement d'allumer la lumière..."


Le thème peut paraître banal pour un adulte, mais Cuaron sait ici qu'il s’adresse à un public jeune, et c'est pour ça que son message est pertinent. Il éduque le jeune spectateur à faire face à la peur en gardant à l'esprit ce qui le rend heureux, tout en s'éclatant pour lui montrer du beau cinéma.


Je crois pouvoir affirmer, sans trop me tromper, que le film est une belle démonstration de mise en scène et d'esthétisme. Tout prend plus d'ampleur entre les mains de Cuaron, tout est plus contrasté à l'image de l'esthétique du film, marquée de contrastes entre blancs éclatants voire surex et noirs bouchés. Il n'y a qu'à regarder les entrées en scène des différents personnages pour avoir un aperçu de la puissance du style de Cuaron.
Première scène avec Lupin : d'abord un homme mystérieux au visage caché (tout comme ses intentions tout au long du film), puis un sorcier puissant qui repousse la nouvelle menace qu'est le détraqueur, et enfin un personnage profondément sympathique qui vous offre du chocolat.
Première (vraie) scène avec Rogue : un travelling rapide et rigide où le professeur ferme un à un les volets de la salle dans un bruit sourd et percussif, suivi du fameux "ouvrez vos livres à la page 394". Première scène avec Dumbledore : de belles déclarations qui vont plus loin que le simple papy sympathique des précédents films, renforcées par de splendides travellings qui donnent beaucoup plus de puissance et de splendeur au personnage.
C'est vraiment de la pure mise en scène : présenter un personnage en très peu de temps, par des illustrations visuelles. Et ça marche extrêmement bien.
De plus, la caméra semble véritablement magique : libre de ses mouvements, elle passe régulièrement à travers les vitres et l'espace-temps : on passe de l'hiver à l'automne le temps d'un plan aérien avec Hedwige, on passe du présent au passé en plan-séquence, on passe à travers les rouages d'une horloge pour redescendre sur l'extérieur du château sans cut. La mise en scène ne se limite certainement pas à des champs-contre-champs, qui sont plutôt l'exception que la règle, puisqu'elle est magicienne et libre comme les jeunes personnages qu'elle filme.


C'est aussi ce qu'on pourrait parfois reprocher au film : de faire son rebelle, de s'éclater. Certaines scènes, comme le monstre livre des monstres, la grosse dame qui tente de casser son verre avec la voix ou l'attaque du saule cogneur, ne servent pas à grand chose et sont surtout là parce qu'elles étaient l'occasion pour le réalisateur de s'éclater au niveau du comique ou de l'action, et représentent un choix d'adaptation discutable puisqu'elles prennent du temps et coupent quelque chose autre part dans le livre d'origine. Ceci dit, ma lecture des livres est trop vieille pour savoir réellement ce qu'il aurait été éventuellement plus pertinent de placer dans le film, mais je peux penser à l’absence de véritable explication du "Lunar, Queudver, Patmol et Cornedrue".


Cependant, c'est parce qu'il expérimente et prend des risques que le film livre ses véritables morceaux de bravoure : d'un côté on a un loup-garou moche et des scènes peu utiles, mais de l'autre on a une scène du train digne de Spielberg, une scène de quidditch plus épique que jamais, des plans d'une ampleur démesurée sur les détraqueurs entourant le château, l'envol d'Harry à dos d'hippogriffe ou encore la scène des coups de théâtre enchaînés dans la cabane hurlante, où les convictions des personnages et du spectateur s'ébranlent en même temps que la cabane tremble face aux vents, où la caméra joue sans cesse sur le regard des personnages pour faire croire qu'Harry est en danger alors que c'est Petigrew que regardent Sirius et Lupin depuis le début, où l'unité du lieu et la rapidité des révélations donnent vraiment un sentiment de climax, sans même avoir recours à une action particulièrement impressionnante, mais simplement à des dialogues.


En dernier lieu, on pourra éventuellement reprocher quelques petites imperfections d'écriture : jusqu'où va la puissance du retourneur de temps pour que des individus tels que Voldemort n'y aient jamais recours ? Que faisait exactement Sirius Black dans le château depuis que Lupin l'y a fait entrer ? Si on tente de refaire son parcours: Sirius entre à l'aide de Lupin. Il a trois objectifs (je suppose) : se cacher pour être en sécurité (mais où se cache-t-il exactement ? Harry ne devrait pas le voir sur la carte du maraudeur ?), retrouver Petigrew, et dire la vérité à Harry. Il ne dit pas à Lupin que Petigrew est vivant (pourquoi ?) et ne dit pas la vérité à Harry. Il déchire le tableau de la grosse dame, probablement en poursuivant Petigrew (c'est quand même un sacré hasard qu'il déchire un tableau à une cinquantaine de centimètres de hauteur en tentant d'attraper un rat de quelques centimètres...), sans y arriver. En gros, qu'est-ce qu'il a foutu pendant un an ?


Ces petites faiblesses ne gâchent cependant pas un excellent divertissement et un film très bien structuré dans son message et ses symboliques, très fort dans sa manière de mettre en scène et très neuf dans son approche : mine de rien, il n'y a pas vraiment de film qui ressemble à ça, du moins dans ma culture limitée, même pas les autres opus qui sont très différents. C'est un très bon film pour le public qu'il vise et une belle leçon de cinéma, tout en étant un plaisir à regarder.

Naskor
7
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le 25 nov. 2018

Critique lue 190 fois

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Naskor

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