"Tout autour le Monde et nous au milieu, aveugles..."

HAPPY END (15,8) (Michael Haneke, AUT/FRA/ALL, 2017, 108min) :


Cette grinçante fable chorale nous entraîne dans l'intimité d'une famille de bourgeois, dirigeant d'une grande entreprise de BTP dans la région de Calais. À la suite de l'hospitalisation de sa mère une jeune adolescente de 13ans vient habiter avec son papa, où celui-ci vit avec sa sœur et son père dans l'hôtel particulier familial. Pour son nouveau projet cinématographique Michael Haneke décide de nous offrir un nouveau Funny Games, dont il a le secret, un long métrage mal aimable au titre dont on saisit d'emblée toute l'ironie contenu à l'intérieur, pour mettre à nouveau le doigt là où cela fait aïe ! Dès la première séquence qui prolonge judicieusement l'affiche du film, le réalisateur nous prévient que cette fiction utilisera avec précision le 2.0. Une première scène au Smartphone, prémices d'une première partie de film où la caméra pointilliste délivre sous nos yeux de multiples pièces pour nous faire notre propre conviction, comme dans une reconstitution de crime. Une mise en scène géométrique scalpel, où Michael Haneke avec une précision diabolique, dissèque un peu plus, à chacune des séquences chaque âme qui cohabite sous le même toit, pour mettre en pleine lumière la face sombre de chacun d'entre eux. Comme un peintre de façon impressionniste le réalisateur fait sauter et craqueler les couches de vernis pour mieux nous dévoiler à travers un récit puzzle, tous les maux de cette famille. Comme un-film somme faisant écho à sa propre œuvre, le metteur en scène par le biais d'une architecture narrative élaboré avec un art de l'ellipse savamment dosé, réutilisent comme dans un miroir ses propres obsessions déjà évoqués dans ces films précédents pour briser la glace de toutes nos basses hypocrisies humaines. Un délicieux jeux de massacre qui a pour cadre ici une famille dysfonctionnelle bourgeoisie, aveuglée par son propre destin et leurs écrans (smartphone, ordinateur, caméra...), enfermée dans sa demeure de verre ne voyant absolument pas le drame humanitaire autour d'elle mais qui se veut plus universelle en nous interrogeant sur nos propres ressentis et nos bassesses. Loin d'être le père fouettard que certains prétendent pour se défausser de leur propres démons intérieurs, Michael Haneke l'humaniste ne joue pas le moralisateur, sa caméra ausculte mais ne juge pas, laissant soin au spectateur d'appréhender à son bon plaisir ou pas, les interrogations de l'alchimiste autrichien qu'il nous tend comme dans un miroir. Ce long métrage exigeant s'autorise même des chemins de traverses vers un humour teinté de Samuel Beckett pour saupoudrer de farce son drame contemporain, et convoque également lors de l'une des dernières séquences du film Le Charme discret de la bourgeoisie (1972) de Luis Bunuel. Cette satire sociale pointilliste repose sur une direction d'acteurs admirable : Jean-Louis Trintignant s'avère véritablement poignant en chef patriarche (suicidaire) avec une incarnation instinctive et une sincérité de jeu assez troublantes, il est bien accompagné (notamment lors d'une magnifique scène de complicité) par l'étonnante Fantine Harduin, interprétant la gamine perturbée et mystérieuse, ainsi que l'impeccable Isabelle Huppert dans un registre qu'on lui connaît, et l'excellent Mathieu Kassovitz en père maladroit et sexuellement addict. Venez donc savourer cette tragi-comédie retorse, où le cinéaste explore à nouveau ces récurrents motifs d'inquiétudes sur l'être humain, pour découvrir si cette fois-ci la consultation intime se termine en Happy End. Glaçant. Lucide. Dérangeant.

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le 4 oct. 2017

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