Hacker est un film des extrêmes et de la recherche d'équilibre. Une volonté de traiter l’intime au milieu du mondial. L’ouverture du film indique assez clairement la narration future du film. On commence par un plan de la terre vue de l’espace. Pas une vue classique de la terre « de jour » ni celle « de nuit » mais une vue selon les réseaux d’échanges informatiques. La terre est entièrement grisée comme embrumée. Seuls scintillent des millions de liens qui strient cette brume. Petit à petit la caméra se rapproche, passe ce brouillard et survole une centrale nucléaire. On pénètre la salle de commande. On observe les hommes, les écrans. On entre au cœur des machines. On suit les câbles puis on découvre le processeur et ses pistes microscopiques illuminées par le passage des électrons. Alors ce n’est peut-être pas « nouveau », mais c’est là d’une plus grande ampleur que d’habitude et Mann prend son temps. Peu importe le réalisme, ce qui compte c’est l’esthétique et le symbole. Le symbole est clair. D’un infiniment grand où tout semble flou et indiscernable vers l’infiniment petit insaisissable, et au milieu l’homme et le monde réel.


Ne vous y trompez pas. Mann se fiche totalement du thriller ou de l’aspect cyber terrorisme. Si vous vous attendez à une course effrénée vous serez déçu. Si vous vous attendez à une critique de la technologie ou une analyse post 11 septembre du terrorisme, c’est raté. L’histoire n’est qu’un prétexte, un support. En ce sens, le film peut paraître creux, les situations déjà vues, les artifices scénaristiques un peu trop mécaniques.


Ce qui intéresse Mann c’est cette dualité de vivre dans une société mondialisé mais tellement dépendante de 1 et de 0, d’électrons. Ce qui intéresse Mann c’est de retrouver la place de l’humain dans ce monde. Ce qui intéresse Mann c’est d’observer ses personnages obligés de lâcher ce système pour en revenir au monde réel, aller sur le terrain « à l’ancienne », rencontrer et sentir et ressentir. Bref se réhumaniser, « se connecter » au monde réel. Ainsi Hataway joué par Chris Hemsworth peut paraître creux, déshumanisé. Un être qui « vit » en dehors du monde réel (en cellule de prison ou à travers l’interface d’un ordinateur) mais qui retrouvera petit à petit son humanité par la contact humain et le retour à la vie réelle. S’il sort de prison ce n’est pas tant parce qu’il est à l’origine d’une partie du virus mais surtout parce qu’il était le colocataire et l’ami à la fac de l’enquêteur chinois. S’il progresse ce n’est jamais seul, jamais quand il est derrière un écran mais toujours par le relationnel, le rapport humain et la présence sur le terrain. Même si son « groupe » d’alliés diminue, ce n’est pas seul mais en couple qu’il achève sa mission. Et c’est au duel au corps à corps, pas via la technologie informatique ou à distance d’une arme à feu, mais au couteau que tout se fini.


Dans cette optique Mann poursuit sa progression. Il lâche sa réalisation classieuse et léchée des débuts et insère de plus en plus au fil de sa filmo des caméras à l’épaule, des gros plans décentrés, jouant sur les flous et les nets à différents niveaux de profondeur pour nous indiquer la suite de l'action. C'est parfois du plus bel effet (la scène très sensuelle dans le taxi ou encore ce mouvement de caméra génial lorsque les personnages entrent dans le métro qui nous projette contre eux avant de prendre un peu de recul comme si nous étions dans la fuite avec eux) mais qui fait aussi parfois l’effet d’être un peu trop devant un film d’auteur "cinéma-vérité" voire un documentaire. L’effet documentaire est certes totalement sensé dans la démarche de Mann de mettre en avant l’humain et le monde réel, tangible mais c’est peut être parfois trop. Trop permanent, trop près d'un Hathaway qu'on ne lâche que trop rarement. C’est en décalage avec le genre du film et ses codes. On voudrait voir plus de beaux travellings, de ralentis, etc. qui font partis du style intiale de Mann. Alors ça choque, ça déstabilise le spectateur et on comprend très bien les mauvaises critiques autour du film. La narration en apparence creuse du film d’action et la réalisation « auteurisante » façon cinéma-vérité, le rythme lancinant soumis à de soudaines scènes d’action, etc. ça risque de ne pas plaire aux spectateurs qui pensaient voir un film d’action « classique ». Si vous aviez envie d’un film d’action classique vous risquez d'être déstabilisé par cette forme très inhabituelle. Si vous vous attendiez à subir tout ce que vous n'aimez pas dans un film d’action classique vous allez y retrouver tout un tas d’archétypes du film d’action : le héros beau, intelligent et musclé (pas vraiment l’image du geek), les personnages creux, la romance, le manichéisme, les fusillades, l’invraisemblable voire l’illogisme de certaines situations, etc. qui vous feront dire que ce n’est finalement qu’un autre film d’action sans intérêt.


Bref, Mann ose une fusion de genre qui peut sembler maladroite ou forcée mais fait sens dans sa démarche. Il est dans des partis pris quasi constants et parfois déroutants. On accepte son voyage ou non. Disons qu’il faut déjà une certaine ouverture d’esprit et que le film laissera difficilement indifférent. Pour ma part le choix est fait. L’aspect singulier du film l’emporte. Les scènes d’actions (toutes réussies pour ma part) et les quelques scènes intimistes qu'il disperse et qui font mouches à chaque fois effacent facilement ce qui m'a moins plu. J'ai assisté à un film différent et qui m'a marqué. C'est aussi pour ça que je regarde des films : être surpris, assister à des moments forts, sentir que quelque chose vise au-delà de la « simple » efficacité.

ghyom
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le 24 mars 2015

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ghyom

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