2001, l'odyssée de l'espace mais surtout des comédies françaises : l'année qui a vu naître La Tour Montparnasse infernale, La Vérité si je mens 2, Tanguy, Liberté-Oléron, pour n'en citer que quelques-unes. Les vieux cons diront qu'à l'époque, on savait rire, et ils auront sans doute raison (il faut dire que quinze ans plus tard, les choses se sont un peu gâtées). Alors on remonte le temps, on se repasse de vieux DVD, songeant avec nostalgie à ces jours bénis où on savait encore faire des vraies, des grandes comédies populaires, en essayant d'oublier ce que sont devenus aujourd'hui les Veber, Chatiliez et consorts dont toujours personne ne semble décidé à prendre la relève. Disparu en 2013, Artus de Penguern faisait partie des noms qui comptaient : on le voyait chez Chatiliez donc, chez Jeunet, Serreau, Berberian. Comme réalisateur, il est resté beaucoup plus méconnu avec seulement deux films, dont ce Grégoire Moulin contre l'humanité qui aurait pourtant mérité de se tailler la part du lion au box-office.


Grégoire Moulin s'installe donc à Paris pour son nouveau travail, et une simple histoire de photocopie perdue va annoncer la pire succession imaginable de quiproquos, le tout en une seule soirée. La première grande force du film, et ce qui accentue aujourd'hui son côté madeleine de Proust, c'est son casting d'un goût irréprochable, qui convoque des acteurs discrets à la patte inimitable : entre autres, Antoine Duléry, Pascale Arbillot, Serge Riaboukine, Philippe Magnan, Didier Bénureau ou l'inestimable François Levantal. La plupart de ces noms ont aujourd'hui disparu des radars et le plaisir de les retrouver, de surcroît dans le même film, est un plaisir en soi. Les voir aussi bien dirigés, dans des rôles aussi bien croqués, en est un plus grand encore. Partant d'une histoire très simple co-écrite avec Jérôme L'Hotsky (qui apparaît aussi dans le film), Artus de Penguern mélange adroitement tous ces personnages dans une sorte de vaudeville inspiré autant d'Albert Dupontel que de Jacques Tati ou Buster Keaton, où tous les malheurs du monde s'abattent, le temps d'une soirée, sur un type qui n'a rien demandé à personne.


Quelque part, la pureté du scénario s'accorde parfaitement avec celle du personnage central incarné par Artus de Penguern lui-même, lequel joue la naïveté, l'innocence avec une aisance parfaite ; dont les traits et le timbre de voix même dégagent une douceur, une tranquillité, une bienveillance qui n'ont de cesse de surprendre, d'enrober le film dans une ouate rêveuse et paisible malgré la dureté et l'outrance des mésaventures qui se succèdent sans répit. Grégoire Moulin, sa délicatesse presque féminine, son détachement zen, sa tête toujours en l'air irriguent le film de bout en bout : c'est aussi dans la rareté de ce personnage qu'il faut chercher une autres des qualités essentielles de cette comédie, qui oppose en permanence l'hystérie d'un monde hostile à la Dupontel (où sont caricaturés tous les défauts du Français beauf et ignorant) au détachement presque pieux d'un individu en marge, frappé des mêmes maux qu'un Bernie mais d'où pourtant la violence ne sort jamais.


La folie destructrice des nombreux personnages secondaires (Riaboukine, Bénureau, Cornillac, Levantal...), faute de trouver du répondant chez Grégoire Moulin, se retourne contre ceux-ci dans un final volontairement outrancier. L'incroyable succession de tuiles n'agit pourtant jamais comme repoussoir envers ces "cassos", qui construisent à leur propre façon cet univers inconnu que le personnage central doit apprivoiser ; et, si tous les clichés de la vie urbaine sont passés à la moulinette de façon rapide et assez prévisible (le foot, les flics, les vieilles rombières, les commerçants mesquins, les chauffeurs de taxi...) c'est le ridicule assumé des situations et l'air paisiblement ahuri d'Artus de Penguern qui permet de déclencher le rire en toutes circonstances. La mise en scène, les dialogues, le rythme s'accordent parfaitement au héros de l'histoire, dans un esprit cartoonesque mais pourtant relativement calme et posé. L'histoire d'amour qui sert de toile de fond à cette folle escapade (Grégoire Moulin doit rejoindre une inconnue dans un bar mais se voit sans cesse retardé par les psychopathes qui se mettent sur son chemin) se termine de façon si jolie, avec la même douce absurdité, qu'il ne fait plus aucun doute sur la nature profonde de ce film : une déclaration d'amour aux types bizarres, aux psychos, aux égoïstes, aux supporters, aux délinquants qui construisent une humanité qu'il vaut toujours mieux aimer. On aura beau essayer de s'en échapper, de se réfugier dans les livres, dans les promesses d'amours romanesques, on se fera toujours rattraper par la réalité d'une société plurielle, finalement pas plus malade que n'importe lequel d'entre nous. Grégoire Moulin, lui, finit en taule puis sur la Lune : ce n'est pas grave, le monde est ainsi fait. Alors on rit.

boulingrin87
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le 11 sept. 2016

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