Green Book est un film qui m’a enchanté. Je pouvais craindre au début à un "classique" film politiquement correct, genre qu'Hollywood adore proposer avant la période des Oscars. Mais, en jouant sur l’inversion du rapport de domination blanc\noir, Peter Farrelly nous propose une fable humaniste sur la tolérance et le racisme aussi simple que subtile. Réalisateur de l'excellent Mary à tout prix ou de Les femmes de ses rêves en duo avec son frère Bobby, Peter Farrelly a fait le succès de la nouvelle comédie américaine des années 1990, avant même la bande à Judd Apatow . Après avoir "surfé" sur l'humour ­régressif, voir "scatologique" sans presque aucune ­limite pendant vingt ans , Peter Farrelly se lance donc tout seul dans le film de prestige. Véritable histoire d’amitié entre un pianiste de jazz afro-américain, Don Shirley , et son chauffeur blanc, italo-américain, Tony Lip partis en 1962 distraire les salles de concert du Sud ségrégationniste des Etats-Unis, cette histoire tire son nom de l’authentique guide de voyage à l’usage des touristes " de couleur " publié pendant la ségrégation raciale.Si le premier , le pianiste, opte pour la méthode douce en acceptant de jouer des concertos pour des Blancs,le second, son chauffeur , fonctionnera plus par instinct. Le film nous replonge avec plaisir dans l’Amérique des années 60 grâce à une très belle réalisation. Les qualités d’écriture des scénaristes frappent d'autant que l'on trouve assez peu de rebondissements. Viggo Mortensen, toujours très impressionnant, a dû se transformer et prendre l’accent italo-américain. Mahershala Ali est extraordinaire et tous les deux donnent réellement une âme à leurs personnages. Il est très bien montré ici que le racisme ne vient pas forcément des terribles blancs enrôlés au Ku Klux Klan, mais d’hommes de bonne volonté éduqués avec des principes intolérables. Véritable film qui réchauffe le coeur, les comiques de dialogue et de situation s'avèrent particulièrement raffinés. Dans ce "road-movie" grave et drôle, porté par ce formidable duo d’acteurs, on découvre une Amérique sudiste où les gens de couleur sont exclus des hôtels, des restaurants, des lieux de divertissement, réservés aux seuls blancs. On est en 1961\62, c'est hier. Et même si on peut reprocher que la fin est prévisible, c'est la route qu'on emprunte qui est belle. Ici, on de la chance. Elle dure 2 heures et 10 minutes. On pourrait en manger des kilomètres de cette route , à les écouter se chamailler tous les deux et à s'aider aussi à devenir des personnes "transformées". Il y a de la grâce dans ce film avec l'idée des lettres façon " Cyrano de Bergerac" ou avec cette manière de parler finement de la haine de l'homosexualité. Tout fonctionne à merveille car , très vite, Peter Farrelly arrive à nous faire comprendre que le rejet de l'autre est avant tout une preuve de manque d'intelligence. J’ai aimé ,bien évidemment, les titres "sixties" qui rythment les clubs rencontrés et les paysages de cette Amérique des années Kennedy. La confrontation des deux egos de nos deux protagonistes offre bien sûr son lot de décalages savoureux avec cette scène du poulet frit au KFC mais aussi dans la voiture. Le plus fort des deux reste , pour moi, le chauffeur qui n'a jamais peur de faire le premier pas. Il n'hésite pas à se retourner régulièrement pour regarder son interlocuteur dans les yeux alors qu'il continue de conduire. La réponse de l'employeur pianiste :"Eyes on the road !". J'adore. Peter Farrelly a souvent réussi à poser un regard simple sur une situation compliquée dans Mary à tout prix par exemple.Tout est là. Même aussi génial qu'il est, notre pianiste d'exception doit souffrir pour être beau d'autant qu'il a choisi l'attitude la plus difficile à tenir. Ce qui est forcément moins le cas de notre chauffeur .Nous avons un génie qui reste dans sa solitude car le monde peut comprendre son art mais ne peut pas accepter sa personne, alors que ceux qui peuvent accepter sa personne ne peuvent comprendre son art. Peter Farrelly élargit son discours en s'intéressant à la société dans son ensemble, à commencer par l'éducation des différentes classes sociales qui la composent. Mahershala Ali aide Viggo Mortensen à écrire ses lettres et à devenir plus respectable pour être mieux respecté. Viggo Mortensen, lui, apporte à Mahershala Ali sa manière d'être simple et sa capacité à apprécier la réalité de la vie comme elle arrive. Cette route sera celle de la prise de conscience pour les deux personnages. Au début, ça commence comme un film de Martin Scorsese. On croirait retrouver le New-York italien des sixties et des seventies avec la pègre des cabarets. Puis, le ton du film, à la fois léger et comique puis grave,prend le dessus jusqu'à une fin à la Frank Capra. Rappelons que c'est hier que tout se passe ,dans un contexte bien particulier peut-être, celui de la ségrégation, mais hier quand même, en 1962 dans un pays qui s'est toujours voulu le modèle à suivre.

pasteque68
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le 13 mars 2019

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