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Gorge Cœur Ventre, un film qui dissimule ses intentions pour mieux piéger le spectateur. Une bande-annonce étrange qui ne laisse transparaître qu’une brebis perdue et il en va de même pour les affiches du film. Ce n’est pas anodin, vu le thème du film, de conserver le mystère au maximum. Si la réalisatrice dévoilait directement les intentions de son documentaire, les gens n’iraient certainement pas le voir. Il aurait d’ailleurs mieux fallu le titrer « Epaule Poitrine Gigot » pour mieux coller à l’ambiance. Vaut mieux en avoir dans le pantalon pour aller voir un tel documentaire et pas trop dans l'estomac. Au pire, conseil de la rédaction, mangez une banane, en cas de régurgitation, c’est l’un des rares aliments à avoir le même goût quand il rentre et quand il ressort. Avec ce film vous aurez la joie de découvrir comment dépecer un bovin ainsi que toute autre joyeuseté des abattoirs. Amoureux des animaux ? S’abstenir, mais il va falloir ouvrir les yeux pour accepter ce qu’on y voit, et par « ouvrir les yeux », comprendre « accepter la réalité ». Maud Alpi dévoile un propos dure, violent, sans concession, duquel le spectateur devra faire un gros effort pour accepter la triste réalité.


Gorge Cœur Ventre pourrait largement devenir le porte-étendard du veganisme. Si les images valent mieux que des longs discours, agressifs pour certains qui plus est, alors ce film pourrait subvenir à leur cause. On peut tout à fait continuer à se revendiquer carnivore et accepter les propos du film malgré tout, mais ceux-ci font irrémédiablement réfléchir. Souvent c’est une vérité dont on a conscience, on sait qu’elle existe et qu’elle n’est pas belle à voir, mais on la renferme, on fait avec et on préfère la dissimuler. Avouons cependant qu’il y a un total manque d’humanité. Il semble invraisemblable, après la vision de telles images, d’oser dire de quelqu’un qu’il se comporte « comme un animal » alors qu’aucun animal ne se comporterai de telle manière. L’inversion des termes est totale. On parle d’animosité alors que l’on peut s’apercevoir que s’il y a bien une chose dont un bovin semble complètement dépourvu c’est de notion de haine, de vengeance ou d’agressivité. Alors que l’être humain est capable de tuer à la chaîne, on parle d’humanité ? A quel point peut-on se tromper sur les mots et leur signification ? Boston, le chien du film, en est presque leur voix (ironique non ?), de ces bovidés qui beuglent au désespoir, incapable de comprendre leur mort imminente. Mais en soit la mort pure des animaux n’est pas le fond du problème, ce qui dérange c’est l’inhumanité de la chose. On affaiblit l’animal jusqu’à son dernier souffle puis on le pend par les pieds, encore vivant ou non, et on fini par lui retirer la peau.


Le seul véritable souci, c’est que ce que la réalisatrice cherche à dénoncer, on le sait déjà pour la majorité des informations et la majorité des gens. On ne se l’avoue simplement pas. On préfère patienter, relativiser, en se disant que ça sert à nous nourrir même si on sait que 50% (voire plus) sera jeté, et qu’avec un peu de chance, d’autres personnes créeront le mouvement. Il ne sera pas trop tard pour rejoindre la cause lorsqu’elle aura pris plus d’ampleur. De fait, on sait dès le début où ça va, ce que ça veut dire. Par définition, une seule image suffit, une seule scène, un seul parcours dans le couloir de la mort suffit à comprendre l’intégralité du film. Alors pourquoi s’acharner ? La seule réponse, c’est de forcer le spectateur à s’auto-convaincre, à se faire souffrance pour qu’il réalise à quel point il y a un problème viscéral dans cette société de surconsommation. En fin de compte, le film lui-même, qui a plus des relans de documentaire que de toute autre fiction, ne sert qu’à ça. La mise en scène est brute, directe, elle ne voile rien mais n’a rien d’original. Ce que Maud Alpi fait, n’importe qui d’autre aurait pu le faire. Il s’agit très basiquement de filmer l’horreur telle qu’elle est. C’est violent et sans concession mais c’est peut-être nécessaire pour taper dans la fourmilière. Tout ce qui en découle n’est qu’interprétatif, il n’y a que le traitement du personnage du chien qui sort un peu de l’ordinaire et qui propose le parallèle le plus audacieux, même si là encore une faute de goût n’échappe pas.


Une chose que la réalisatrice a la présence d’esprit d’éviter est sans doute de dire que l’homme est méchant, irresponsable et vilain pas beau. Le genre de discours désagréable et bien pensant souvent bourré d’hypocrisie. Non ici finalement l’être humain n’est que la victime des conséquences de son propre système. Il est plutôt en arrière-plan sur le sujet de l’éthique animale. On progresse avec Thomas, l’employé, qui vit sa vie plutôt comme il peut, dans une sorte de taudis avec son chien Boston. Il ne fait rien pour changer les choses mais essaie d’apporter une once d’humanité dans ses actes. Son collègue est assez détaché, son patron se rit de l’humanité de son employé par sa seule réplique et sa copine n’apparaît que le temps d’une scène, trop rapide pour y apporter un vrai jugement. En revanche, en contraste de cela, Thomas vit à côté de ce qui semble être un centre de vacance où l’on peut apercevoir plusieurs familles s’amuser, bien loin de penser qu’un tel sort incombe aux bovins. Quoiqu’il en soit, l’être humain reste finalement très en retrait, ce qui est dénoncé est exclusivement le sort réservé aux animaux et ce qui en découle, non l’acheminement qui y conduit. Ce genre de discours est malheureusement compris dès les premières images, la nécessité d'en montrer plus implique du spectateur que c'est à lui de faire la démarche de prendre conscience de la situation et d'agir en conséquence à son échelle.


Enfin, si le chien est une très bonne idée pour lier l’animal à l’humain, on ressent bien que la réalisatrice ne savait pas comment faire en sorte qu'il quitte cette histoire. Celle-ci se termine sur des paroles de musiques un peu bancales et une conclusion complètement aléatoire, sortant du cadre anti-maltraitance animale de départ pour conclure sur une sorte d’ode à la liberté canine. Une manière d’alléger drastiquement le propos pour bien définir que Boston était le héros de cette pseudo fiction. Au détriment d'une prise de position dure, sévère et définitive, on quitte la salle avec cette légère impression que la situation paraît moins grave qu'elle ne l'est. Esthétiquement la scène reste belle, mais le propos se termine dans une forme de mélancolie qui nuit un peu à l'impact du film, sachant que jusque là l'esthétique n'était pas un élément décisif.

Notry
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le 23 nov. 2018

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