Le titre est sans équivoque. C’est la juste expression d’une envie d’ailleurs, une émancipation qui se heurte au passé. Goodbye South, Goodbye souffle le chaud et le froid, s’inscrit dans un nouveau commencement, dans la promesse de mouvement qui puise sa candeur par la possibilité d’une libération douce. Cette suggestion temporelle et spatiale palpite dans presque chaque scène du film de Hou Hsiao-Hsien. De ce film naît un choc frontal, mais parfaitement harmonieux dans ses pérégrinations, celui du film social, aux attributs presque documentaires, et le film de genre, le film de gangsters où les coups de feu n’existent pas. Un film qui présente des petites frappes affublées de chemises hawaïennes que sont Kao et Biam (et sa copine Patachou), des bons à rien qui décident de se remplir les poches par des jeux illégaux ou des affaires immobilières en trompe l’œil. Pour combler un vide, dessiner un avenir plus chantant.


Hou Hsiao Hsien instaure un style sobre, d’un calme olympien dans l’enchevêtrement de ses plans, dans la symbiose de sa mise en scène et sa mise en recul affective. Le cinéaste obtient cette retenue par l’interstice d’un filtre de couleur, d’une caméra qui divague et parcoure les routes avec fluidité. Une mise en perspective visuelle qui insère les protagonistes dans un environnement distinct. Environnement qui suit et jalonne les émotions, les envies et la mélancolie de personnages voulant chasser l’échec et sauter dans le train de la réussite quitte à se brûler les ailes.


Goodbye South Goodbye est sujet à la volonté de se désolidariser d’une vie, d’avancer coûte que coûte et Hou Hsiao Hsien déplore le décès de la notion de communauté et ses traditions imparfaites voire illogiques. Le simple récit d’hommes et femmes, qui partent en croisade dans un nouveau monde, qui veulent juste le plaisir de l’argent, par opportunisme, plaisir puéril ou par la motivation d’une fierté familiale, celle de mériter le respect de son père. Scène après scène, bavardage après bavardage, les échos des émotions se font plus intenses, et le miroitement de la grandeur s’achemine sur une pente descendante. Goodbye South Goodbye regarde la transmission des humeurs, décèle une stagnation moribonde dans la juxtaposition des histoires de ces vauriens.


Comme souvent chez Hsiao Hsien, le regard se veut détaché voire inflexible. Tout sentiment passe par une pudeur sous-jacente, qui rend l’œuvre touchante par bien des égards. Comme durant ce moment de faiblesses, ces larmes, cette simple scène où Kao se vide le bide après une soirée bien arrosée et une cuite comme remède à ses démons. Cette séquence est d’autant plus belle qu’elle tranche avec le personnage et ce qu’en fait le film. A l’image de ses premières minutes quand nous le voyons, placide, fascinant et mystérieux avec ses lunettes noires, portable à l'oreille pendant que derrière lui s’amusent bêtement Biam et Patachou, et leurs allures de jeunes adolescents immatures (faire pipi sans fermer la porte). Mais de cette immaturité, quelque chose de plus féroce, aussi imbécile que profond, pousse dans l’esprit de ses gamins notamment lorsque Patachou tente une nouvelle fois de se suicider à cause de dettes faramineuses.


Sur bien des points, Kao lutte pour garder l’avenir de ses trois bandits de pacotilles à flot grâce à quelques coups, des escroqueries impliquant la vente de porcs au gouvernement. Mais son rêve à lui est touchant dans sa modestie : ouvrir un restaurant-club de Shanghai. A travers ce personnage, Hsiao Hsien décompose alors un homme aux aspirations modestes mais tellement universelles, qui par ailleurs, se lient à une peur de l’inconnu. Sa petite amie rêve d’Amérique mais lui ne parle pas un traître mot d’anglais. Kao est un protagoniste conscient de soi et de sa condition d’animal coincé dans une cage.


Mais ce qui fait aussi la beauté de Goodbye South Goodbye, c’est sa plastique, entre génie visuelle et humilité stylistique. Il articule sa respiration entre immobilisme et mouvement. Une grande partie du film est consacrée au temps mort. Et sa ventilation se veut symétrique : entre moment scénaristique et apaisement des moyens de locomotion sous fond musique électro. Les plans intérieurs statiques sont interrompus par des sublimes travellings en plein air. Nous observons les rituels et les habitudes de ce de ce petit monde presque pathétique aux jeux de cartes illicites, et bavardages claironnés à la table d’un dîner. Il y a des plans de balades en voiture à travers les rues bondées de la ville comme idylles sur les routes de campagne luxuriante, ou les trains qui serpentent les montagnes.


Ces moments sont toujours magnifiques, gracieux. Le paroxysme de cet évanouissement par l’évasion est cette balade à moto dans la campagne, aussi inerte qu’émouvante dans son contentement et sa mélancolie. Mais le plus fort dans cette instance, c’est la faculté de Hsiao Hsien à faire basculer le poids de son film, de passer d’une atmosphère légère à une tension froide et nerveuse. La fin du film est extraordinaire par son découpage lancinant et sa tonalité expectative et arbitraire. Avec Goodbye South Goodbye, le cinéaste crée une orchestration plus monolithique que film de gangsters traditionnel et évoque avec brio l'isolement d'une génération désespérément coupée de son passé et incapable dans son futur.

Velvetman
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le 19 avr. 2016

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