Godzilla au cinéma, c’est un beau palmarès de 30 films au compteur après 60 années d’existence.
Le petit nouveau Gareth Edwards a hérité de cette difficile tâche de rendre hommage à la saga en célébrant le retour au cinéma du monstre légendaire pour fêter dignement cet anniversaire. Un peu à la manière de Skyfall avec James Bond en 2012.

Alors, comment ce réalisateur avec seulement un film de 500 000 dollars de budget à son actif s’en est-il sorti ?
Si Gareth Edwards a été retenu, c’est en partie grâce à son amour palpable pour les monstres comme le laissait transparaître son réussi Monsters. Il en reprend d’ailleurs quelques idées (la zone de quarantaine, les comportements animaliers/amoureux des MUTO) les moyens en plus, le budget étant ici 430 fois plus conséquent.
Le réalisateur filme Godzilla avec un tel respect qu’il se rapproche d’une divinité. Je ne compte pas le nombre de plans magnifiques qui pourraient être de véritables tableaux : l’arrivée à Hawaï de ce Godzilla trop massif débordant totalement du cadre, son premier cri emblématique en pleine face, son ombre massive et rocheuse sciant les océans entourés de porte-avions semblant être miniatures à ses côtés, sa queue fendant l’air dans une puissante bourrasque pour ensuite laisser apparaître dans la lueur d’un éclair sa silhouette presque fantomatique masqué par la fumée d’un San Francisco en ruines, etc. Le look anthropomorphique de ce nouveau Godzilla au regard aussi menaçant que bienveillant est particulièrement réussi.
Quant à MUTO, son apparence lovecraftienne (moins marquante que celle de Godzilla) oscille entre Clover de Cloverfield et les guerriers arachnides de Klendathu tirés du film Starship Troopers.

En plus de sa passion pour les monstres, Gareth Edwards respecte la légende de Godzilla. L’énergie atomique n’est plus à l’origine de la naissance des créatures mais la question du nucléaire (élément au cœur du Godzilla de 1954) est toujours présente, que ce soit à travers l’accident du début faisant écho à la catastrophe de Fukushima ou le spectre d’Hiroshima planant au détour d’un dialogue entre Docteur Serizawa (nom en référence au Docteur du film de 1954) et l’Amiral Stenz. En respect envers le mythe de la créature au centre du film, son nom est prononcé dans sa langue d’origine (Gojira étant la contraction de gorira (gorille) et kujira (baleine)).
Enfin, à travers un savoureux clin d’œil, le réalisateur nous apprend que le prochain monstre à affronter sera très certainement le célèbre Mothra.

Le réalisateur n’a jamais caché son admiration pour Steven Spielberg et j’ai tout particulièrement apprécié les multiples références à des films phares de réalisateur américain.
Jurassic Park :
• La scène d’ouverture avec l’arrivée d’un hélicoptère sur fond d’île verdoyante,
• L’arrivée sur un site de fouille dans cette même scène d’introduction,
• Les bruits des câbles qui lâchent sensés retenir MUTO sont les mêmes que ceux de l’enclos du T-Rex,
• L’île d’Hawaï (qui est le lieu de tournage de Jurassic Park),
• L’arrivée de Godzilla à San Francisco qui fait écho à celle du T-Rex (bruit de la pluie battante sur les véhicules, cri du monstre dans un silence religieux et chauffeur de bus qui essuie la buée de son pare-brise avec le même geste que Ian Malcolm),
• MUTO qui prend la tête nucléaire de la même manière que le T-Rex s’attaque au pneu de la voiture retournée.
La Guerre des Mondes :
• Les traces humaines (ici des véhicules et non des vêtements) qui passent devant le héros au fil du courant de la rivière,
• La vision infernale du train enflammé qui poursuit sa route,
• Le ton sombre et désespéré (le plan de Tom Cruise face à un ciel sombre et crépulsculaire se reflètant sur des collines rougeyantes rappelle le San Francisco en ruines),
• L’impuissance de l’homme face à des forces qui le dépassent.
Les Dents de la Mer:
• Le héros s’appelle Brody,
• Les épines dorsales de Godzilla qui rappellent l’aileron du requin Bruce.
Il faut sauver le soldat Ryan:
• Le héros est un soldat s’engageant dans une mission limite suicidaire,
• Son face-à-face final avec MUTO armé d’un pistolet rappelle celui de Tom Hanks à bout de force qui tire désespérément sur le tank avançant inexorablement vers lui. Jusqu’à un deus ex-machina assez similaire.
En somme, entre son amour des monstres et son admiration pour Spielberg, le réalisateur emploie un langage qui me parle et me touche.

Côté casting, Bryan prouve (s’il en était encore besoin après Breaking Bad) qu’il est un excellent acteur passant par un panel d’émotions variées : Bryan est heureux, Bryan a peur, Bryan est triste et Bryan est à cran(ston). Il est en couple avec Juliette Binoche qui n’existe que le temps d’une paire de scène dont la seconde est toutefois émouvante et puissante. Quant à Aaron-Taylor Johnson, qui campe leur fils, il est en mode mineur alors qu’il endosse tout de même le rôle principal. Son personnage de brave lieutenant qui franchit sans peine tous les obstacles en travers de sa route n’est malheureusement pas vecteur de beaucoup d’émotions. Par ailleurs, je redoutais que le couple qu’il forme avec Elisabeth Olsen ne soit pas convaincant mais ils tiennent finalement plutôt bien la route et font des parents crédibles. Ken Watanabe rempli également bien son rôle. Quant à sa collègue dont je n’ai pas retenu le nom (allez, même si elle est brune, on l’appellera Barbie), elle n’apporte pas grand-chose. Au final, le casting de Godzilla est de nationalités et d’âges variés, globalement solide et convainquant.

Autre point fort, la beauté sidérante du film. Au-delà des magnifiques plans sur les créatures, le film regorge de scènes graphiquement splendides à la mise en scène soignée avec évidemment en tête, le saut en parachute des militaires. Le réalisateur a eu la bonne idée de garder cette scène avec la même musique que dans la bande-annonce, ce qui colle parfaitement aux images. Avec toutefois une légère différence sur le plan en vue subjective ne dévoilant pas seulement Godzilla parmi les décombres… La vision apocalyptique d’un San Francisco en ruines dans la dernière partie du film est également sidérante de beauté. Il est en tout cas très agréable de voir qu’un film à plus de 200 millions de dollars possède un rendu d’une telle noirceur.

Certains pourraient se demander ce que donne ce Godzilla cru 2014 en comparaison à Pacific Rim. Les deux films sortant du même studio : Legendary Pictures (Barney Stinson aux commandes ?). Mais pour autant, ils n’ont pas la même approche. Autant le premier propose d’impressionnants combats d’égal à égal avec des Jaegers bottant les fesses des Kaijus (et inversement), autant ce Godzilla est filmé à hauteur d’hommes.
Et ici, les hommes ne sont clairement pas de taille face à ces créatures, véritables forces de la Nature. Godzilla laisse tranquillement les missiles s’exploser contre ses épines dorsales. Ce qui ne semble pas lui causer plus de douleur qu’une piqure de moustique. De la même manière, l’arme humaine la plus puissante, la bombe atomique, est inutile contre les MUTO car ils s’en… nourrissent ! Et oui, pour le petit-déjeuner, rien de mieux qu’une bonne biscotte à l’uranium. Ils vont même se servir dans un sous-marin nucléaire fraîchement pêché. Pourquoi pas. C’est tout juste s’ils ne se servent pas des têtes nucléaires comme de suppositoires histoire de bien narguer l’humanité. Autant dire que les balles de fusils sont à peu près aussi nuisibles qu’une mésange peut l’être face à un réacteur d’A380 en plein vol. Bref, tout ça pour dire que sans Jaeger, le Kaiju est retord à éliminer. Face à l’impuissance des hommes (seule la queue de Godzilla est suffisamment balèze), le Docteur Ichiro Serizawa lâchera d’ailleurs cette phrase épique pleine de sagesse « Let them fight ».
Autre différence avec Pacific Rim : l’apparition des créatures. Dans le film de Guillermo Del Toro, les monstres sont immédiatement lâchés plein cadre et le film démarre sur les chapeaux de roue. Pas de place à la suggestion, tout était dévoilé d’entrée de jeu ! Ici, Gareth Edwards reprend la recette des Dents de la Mer, Jurassic Park et autre Alien en faisant monter la sauce avec des apparitions bien distillées. On ne verra dans la première moitié du film qu’une silhouette sillonnant les mers ou une ombre massive que l’on pense être une montagne se détacher du paysage. Il sait aussi très bien créer la frustration en nous montrant le premier combat de Godzilla à Hawaï par bribes d’images télévisées et sans le son alors que le spectateur vient d’être assommé par son cri dantesque en gros plan face caméra annonçant le début de l’affrontement. Un contraste aussi frustrant que réussi. Mais au final, le choc des titans tant attendu aura bien lieu lors d’un combat final jouissif et libérateur dans un San Francisco à feu et à sang(dres). Là, on peut admirer le Roi des Kaijus se lâcher ! Même si j’aurais aimé un combat encore plus violent et plus long, Pacific Rim étant sur ce plan plus impressionnant et plus réussi.

Le spectaculaire est donc au rendez-vous mais l’approche humaine n’est pas pour autant sacrifiée. L’histoire prend le temps de se mettre en place en instaurant un cadre et des personnages sur plusieurs années avec des événements heureux et dramatiques en gardant pour noyau dur une structure familiale. Le nombre de personnages est assez restreint, ce qui favorise l’empathie. Si bien que lorsque certains d’entre eux disparaissent, l’émotion est palpable.

On retrouve d’ailleurs ce principe de noyau familial avec le couple de MUTO qui souhaite faire perdurer leur espèce. Preuve encore une fois que le réalisateur chérit tant ses personnages humains que ses créatures.
J’ai toutefois quelques maigres réserves sur ce nouveau Godzilla. Certaines facilités de scripts viennent un peu gâcher le spectacle. Par exemple, les monstres font trembler le sol, dévastent tout sur leur passage ou sont plus hauts que certains buildings. Mais dans d’autres scènes, ils s’approchent sans bruit ou parviennent à être dissimulés par des palmiers. C’est évidement dans une optique cinématographique permettant de maximiser certains effets de surprise mais c’est parfois un peu maladroit. Tout comme l’étonnante gestion du temps entre le moment où la bombe est armée (1h30 de compte à rebours) et le moment où l’escouade parvient à la localiser (27 minutes de compte à rebours). En seulement une heure, ils parviennent à tous se rassembler, monter une opération, faire décoller l’avion, sauter en parachute et localiser l’engin.
ATTENTION SPOILERS
Ce même engin (sensé faire passer Hiroshima pour un petit pétard) qui explose à 5 minutes en bateau des côtes San Francisco. Soit 5 km si le bateau fait du 50km/h (ce qui m’étonnerait fortement). Autant dire que tout le monde devrait être mort ou devrait décéder de la radioactivité dans peu de temps.
FIN DE SPOILERS
Par ailleurs, j’ai trouvé que le héros du film, le lieutenant Ford Brody, au-delà de son côté fade, ne se retrouve jamais en vraie difficulté. Contrairement à John McLane, il est toujours au bon endroit au bon moment et on ne frissonne que trop rarement pour lui vu qu’il se sort sans problèmes de tous les mauvais pas. Il n’a pas de souci à éviter un train en flammes en sautant de 40 mètres, à faire face à un énorme Kaiju ou à retrouver son fils rapidement et facilement. Cela permet évidemment de faire avancer l’histoire mais dénote un peu avec les restes des personnages.

Je ne suis pas très fan de compositeur Alexandre Desplat en général mais sur ce coup, il a pondu une bonne composition qui appuie comme il se doit les scènes émouvantes et angoissantes. Sa musique contribue bien à rendre le climat oppressant.
J’espère sincèrement que ce film va rencontrer le succès et qu’une suite sera mise en chantier. Ou en d’autres termes, comme le chanterait Barry White « Godi please, come back to me » ! J’aurais aussi pu choisir Seal comme chanteur vu que les japonais trouvent que le nouveau Godzilla ressemble à un phoque. Mais je m’égare.

En conclusion, Godzilla est un blockbuster divertissant et intelligent qui impressionne sans délaisser la dimension humaine tout en rendant hommage au monstre le plus célèbre du cinéma. La beauté plastique renversante de l’ensemble confirme que Gareth Edwards est un réalisateur très doué. Une vraie réussite.

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le 15 mai 2014

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