Il n'y a de haines implacables que celles de l'amour


-Elle ne semble avoir qu'une sympathie modérée pour vous.
-Vraiment? Qu'est-ce qui vous fait croire ça.
-Je connais ma femme.
-Vous la connaissez.
-Pourquoi montre-t-elle cette antipathie à votre égard?
-Peut-être est-ce physique.
-J'y mettrai bon ordre.
-Oui. Vous la connaissez depuis longtemps?
-Je l'ai connue le jour de mon départ en voyage.
-Quand vous êtes vous mariés ?
-Le lendemain.
-Rapide.
-Vous devriez savoir Johnny que quand je veux quelque chose....
-En tout cas pas tout de suite. Mais alors que savez-vous d'elle?
-Une curieuse coïncidence Johnny, curieuse. Elle m'a dit être venue au monde juste avant de me rencontrer. Tous les trois sans aucun passé, un avenir seul, c'est très intéressant.



Gilda est un joyau cinématographique insolite extrêmement complexe, intrigant et divertissant à la fois. Charles Vidor réalise un drame policier passionnel sous tension érotique dans une construction du triangle amoureux romantique et sadique. Un classique du cinéma qui invite à plusieurs visionnages pour réellement en saisir toutes les subtilités. Dénouer et éclaircir les inspirations et les desseins des trois personnages principaux pour réellement en saisir tous les sens cachés. Conjointement on essaye de percevoir l'ensemble des points narratifs, et on se délecte des mouvements sensuels d'une véritable déesse de la scène, Rita Hayworth alias Gilda.


Rita Hayworth obtient avec Gilda son plus célèbre rôle, qui dans son incarnation est de loin la plus surprenante, séduisante, pétillante et incroyable. Une performance grandiose pour un rôle magnifiquement glamour qui lui correspond à la perfection. Une belle femme envoûtante à la chevelure rousse luxuriante, attrayante et provocante, possédant un érotisme élégant et sophistiqué, avec ses lèvres pulpeuses, son regard profond et ses courbes gracieuses. Elle incarne un rôle immortel qui force l'admiration. Elle atteint son apothéose lors d'une des scènes les plus enchanteresses de tout le film avec son strip-tease élégant et séduisant, duquel on l'admire retirer avec délectation ses longs gants de satin noir, tout en faisant une danse lascive d'une manière si naturelle que notre imagination s'en trouve bouleversée. Également étincelante dans la séquence où elle gratte la guitare et chante : "Put The Blame On Mame", à un oncle Pio (Steven Geray) hypnotisé et lobotomisé par la belle (comment le lui reprocher).


Glenn Ford sous les traits de Johnny Farrell offre l'une de ses meilleures performances. Il incarne un arnaqueur confirmé de cartes et de dés, qui obtient un emploi de gardien de jeu dans un casino, en tant qu'assistant du directeur au visage balafré Ballin Mundson, incarné par un George Macready, parfait taciturne. Une profonde relation de confiance née dans le vol et la protection unit les deux hommes, laissant entrevoir une complexe, nuancée et néanmoins présente relation homosexuelle corsant d'autant plus le tout. C'est ainsi que Mundson en vient à faire de Johnny son futur successeur, allant même jusqu'à lui fournir la combinaison de son coffre-fort. Puis arrive la très belle Gilda, la femme de Mundson qui était dans le temps amoureuse et en couple avec Johnny.


Johnny voit Gilda comme un intrus et comme une menace pour sa position et aussi sa relation avec Mundson. Gilda voit Johnny de la même manière, une menace pour sa nouvelle richesse trouvée avec son mari. Cependant malgré la contenance émotive, une forte frustration sexuelle rendue sous forme de tension érotique vient à apparaître et à s'intensifier entre les deux. Au supposé suicide de Mundson, Johnny prend à la fois le casino et Gilda. S'installe alors une haine de la part de Johnny qui contamine sa relation avec Gilda, au point qu'elle devient sa prisonnière. Johnny lui fait à la fois payer son amour pour elle, et la perte de Mundson.


Un récit passionnel et adultère rare, où pour transformer et pérenniser une histoire d’amour, il faut accepter de passer par les altercations malveillantes. Une relation s’alimentant de disputes et de conflits, allant même jusqu'à les entretenir. Ils deviennent alors incontournables et agissent comme un moteur fulgurant de passion, devenus accros à cette haine amoureuse dont ils sont prisonniers. Une accoutumance qui constitue, et entretient le grand danger de cette dépendance fiévreuse de l'autre. Une incarnation incroyable et peu commune de cette description relationnelle, impulsive et colérique entre Glenn Ford et Rita Hayworth, qui transpire de sincérité. Sans oublier l'incroyable incarnation de George Macready qui bien qu'il utilise Gilda pour la décoration est obsédé par elle. Sauf que la relation ambiguë qu'il entretient avec Glenn Ford, pousse l'observation et le questionnement à savoir de qui il est vraiment jaloux.


De ce fait, les trois comédiens réalisent des performances sublimes qui auraient grandement mérité d'être primées.


Cette histoire particulière se fond dans une intrigue noire jouant sur la complexité extravagante exprimant sans ménagement des sentiments, des opinions contraires à la morale reçue par des attitudes dominantes de l'après-guerre. Créant un sous-contexte fasciste intrigant où Mundson se sert secrètement de son casino pour payer dans l'ombre ses concurrents et obtenir ainsi le monopole sur la mine de tungstène lui conférant un statut de grand leader de l'ombre.


Le travail de la caméra sous la photographie en noir et blanc de Rudolph Maté, est tout du long éblouissant. La mise en scène de Charles Vidor est particulièrement soignée, s'imprégnant efficacement de ses cadres avec des zooms efficaces capturant ainsi l'essence d'un moment magique par des effets rondement contrastés. Ajoutons à cela des décors somptueux, éclatants et réfléchis comme lors de la soirée costumée, les superbes costumes de Jean Louis, les surprenantes musiques composées par Marlin Skiles et Hugo Friedhofer, amenant le morceau anthologique "Put The Blame On Me" interprété et dansé par Rita Hayworth, et une distribution transcendante, et on obtient une oeuvre appartenant au top du cinéma en noir et blanc hollywoodien des années 40.


CONCLUSION :


Charles Vidor nous régale avec son oeuvre grandiose sur l'étiolement du désir dans un bluffant manifeste sur la passion, le doute et l'ambivalence qui conduisent à l'amour. Bravo à son histoire aux multiples lectures masquant le désir sous toutes ses formes. Avec sa technicité audacieuse il rend un spectacle aussi troublant que surprenant, totalement passionné, qui met en avant un casting qui fait des merveilles et se surpasse. Bravo aux interprétations sans failles de Glenn Ford et George Macready, sans oublier le reste de la troupe Joseph Calleia, Steven Geray (celui duquel je me pose le plus de question), Joe Sawyer, Gerald Mhor... Sachant que l'oscar de la meilleure interprétation pour ce film revient totalement à Gilda, dans son art, d'une précision diabolique, se livre à une danse satyrique qui ne peut que convoquer le désir. Une oeuvre à voir absolument!


À ce jour ma meilleure histoire d'amour hollywoodienne.

B_Jérémy
9
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le 27 févr. 2020

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