Snow is falling upon all the living and the dead

« Gens de Dublin », adapté d'une nouvelle de James Joyce, est le dernier film de John Huston. Il a été réalisé en 1987, l'année de sa mort, alors qu'il était sous respiration artificielle.


Ne vous inquiétez pas, ce film ne porte en fait pas vraiment le nom ridicule (ou au moins bizarre) de « Gens de Dublin ». Il s'appelle « The dead », et on a encore plus envie de l'appeler « The dead » une fois qu'on s'est laissé emporter par la profonde mélancolie qui en émane. « The dead », ce n'est ni une histoire de mort-vivant, ni celle d'un fantôme venant hanter une famille qui vient d'emménager dans un manoir sinistre. Non, ce qui vient hanter les personnages du film, c'est leur vide intérieur.


Dans The dead, une famille de l'aristocratie irlandaise se retrouve autour d'un dîner pour évoquer les vieux souvenirs, réciter un poème, entonner un vieil air connu, s'échanger quelques bons mots, danser avec un cavalier. En fait, faire preuve de raffinement et s'émouvoir des efforts de la vieille tante dont la voix tremblotante entonne un vieil air gaëlique, semblent être les maîtres mots pour chacun des convives. Il y a juste le neveu, çui qu'est complèt'ment saoul, que tout le monde aimerait pouvoir enfermer dans un placard avant qu'il ne réussisse à gâcher toute la soirée.


La caméra de John Huston virevolte, se défait d'un convive, file vers un autre, et réussit à capter l'importance que chacun semble vouloir se donner dans ces mondanités, le rôle que chacun croit devoir jouer. Le film lui, continue sa progression, lentement, à son rythme, mettant de plus en plus en évidence quelques regards inquisiteurs et des chamailleries de famille qui refont surface, avec toujours en toile de fond, cet idée qu'il faut absolument se sentir exister par rapport à l'autre, par rapport aux autres. Et lorsque M. Conroy (Donal McCann) joue les maîtres de cérémonie en se lançant dans le discours qu'il peaufine depuis le début de la soirée, c'est à la fois la classe sublime de Donal McCann et le côté convenu de toute cette comédie d'apparences qui s'expriment.


On a bien mangé, on s'est laissé porter par toutes ces conversations délicieuses, ces querelles et ces délicatesses so british, mais déjà, Huston décide de nous renvoyer chez nous. La maison se vide peu à peu, les convives s'en vont un par un, tous faussement contents de la soirée magnifique qu'ils disent avoir passé, mais l'on sent bien que chaque invité qui quitte la maison semble y laisser sa mélancolie. Une mélancolie qui semble alors gagner tous les meubles de la maison ainsi que les derniers invités qui trainent encore. Mr. Conroy et son épouse vont bientôt partir eux aussi, lorsqu'une voix magnifique surgit de l'étage, sur l'air de The lass of Augrim. Mrs Conroy (Angelica Huston) s'arrête net, empreinte d'une tristesse insondable. La caméra de John Huston se fige, elle aussi. Le cinéaste fixe sa fille, dans un tableau vivant d'une grâce inoubliable. La suite est sublime. Il s'agit d'un torrent d'émotions qui ne se raconte pas. Un regard touchant et sombre porté sur la vie qu'on a traversé comme un fantôme, et qu'on a peur de quitter dans cette même condition ; Le sentiment que les morts et les vivants ne font plus qu'un. Probablement une idée à laquelle a voulu croire John Huston juste avant de mourir, avec ce bouleversant dernier film en forme de testament.

kernjoly
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le 18 mars 2011

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Kern Joly

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