Sleepers, un film de Yohan Gourcuff.

C'est l'histoire d'une bande de quatre garçons inséparables. Certains les appelleront des « ptits merdeux », mais en fait ces quatre là sont assez chouettes. Des bons ptits gars, avec à leur actif quelques conneries pas bien méchantes : prendre la place du prêtre dans le confessionnal, voler des hot dog... Bref, le genre de gosses qui pissent dans le bénitier sans que ça gêne vraiment grand monde. Des bons ptits gars, je vous disais. Un jour, une de leurs conneries tourne au drame. Ils se retrouvent alors en maison de redressement, sous les ordres de Kevin Bacon, qui ne leur veut pas vraiment que du bien. Quand, plusieurs années plus tard, ceux qui ne sont plus des gamins retrouvent par hasard leurs tortionnaires, il n'est alors question que de vengeance.

Assez énervant, Sleepers fait partie de cette catégorie de films dont on ne peut pas dire qu'ils ne sont pas beaux, mais auxquels il manque indéniablement quelque chose, sans que l'on sache vraiment ce que c'est. Un film à ranger dans la même catégorie que Benjamin Button ou Truman Capote : tout beau tout propre, romanesque à souhait, mais manquant de caractère peut être. D'épaisseur, certainement. Un peu comme si Yohann Gourcuff avait réalisé un film.

Et c'est vraiment dommage, car on sent bien que Barry Levinson essaie de tirer son film vers quelque chose qui soit un peu moins classique : quelques personnages hauts en couleurs capables de lâcher des répliques qui calment (– Je savais pas que tu aimais les pigeons. – J'aime tout ce qui sait fermer sa gueule), des idées de réalisation sombres et poétiques, un prêtre (De Niro) qui vient au secours de criminels, un avocat (Dustin Hoffman, absolument génial) timide, ivrogne et drogué, à la barre... Toutes ces petites touches de « subversion » sont malheureusement trop distillées, ne marquent pas assez le film de leur empreinte.

Ce qui reste cependant la grande faiblesse de Sleepers est sa structure romanesque, et l'impression de regarder un film à grandes lignes. L'enfance, par exemple, est abordée trop superficiellement, alors qu'elle est fondatrice de l'histoire. Ici, quelques paragraphes de voix off, ponctués par quelques anecdotes amusantes, suffisent à la décrire. Les années 60 passent donc à toute allure, avec cette voix off dont on aimerait qu'elle soit plus littéraire, qu'elle dise les choses avec moins de narration et plus de profondeur. Du coup, difficile de s'attacher vraiment aux quatre personnages qui, durant la première partie du film, n'en forment finalement qu'un. On a en effet du mal à distinguer les quatre gamins les uns des autres. Ils ont tous des bonnes bouilles, on les trouve tous sympathiques et attachants, mais en ce qui me concerne, impossible de les différencier. On aurait pourtant besoin de les aimer chacun d'une manière différente, pour les retrouver 15 ans plus tard, sublimés par une moustache, un attaché case, ou un flingue à la ceinture.

Et puis, il y a ce thème de la vengeance. Je ne sais pas vous, mais moi, la dernière fois que je me suis vengé d'un mec qui m'avait humilié en public et abusé de moi pendant plusieurs années, je l'ai enfermé dans un cachot avec des rats, j'ai enfilé le costume jaune d'Uma Thurman, et je l'ai regardé longtemps dans les yeux avant de lui défoncer sa reum. Bref, je lui ai laissé le temps de m'implorer de l'épargner, le temps de se dire qu'il a vraiment été très con de s'en prendre à moi, le temps de comprendre ce qu'il m'a fait subir. Dans Sleepers, il ne s'agit pas vraiment de la vengeance avec un grand V. Certains des tortionnaires seront même tués sans savoir qu'ils le sont au nom de cette vengeance. Oui, car nos héros, ne sont ni comme Uma Thurman, ni comme moi. Ils ont décidé d'être intelligents, comme le Comte de Monte-Cristo (souvent pris en référence par nos héros). Dans le mode opératoire, une vengeance plus sobre, plus policée donc, à l'image du film. A la limite peu importe la manière, ce qu'on voudrait c'est ressentir plus de haine chez nos héros, plus de tragédie. Kevin Bacon, le tortionnaire principal, est par exemple trop vite expédié. C'est le seul qu'on a vraiment vu à l'œuvre, le seul pour qui on a une vraie haine, et c'est celui dont on se venge en premier... Forcément, ça limite l'intérêt du reste du film.

Sleepers est donc un beau film, qui nous fait passer un excellent moment, mais qui à partir d'une histoire originale, souffre de son manque de prise de risque, et n'arrive pas à aller chercher ce qu'il y a de viscéral dans l'idée de vengeance. Bref. Muscle ton jeu, Barry.
kernjoly
7
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le 17 avr. 2011

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Kern Joly

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