Fury
6.7
Fury

Film de David Ayer (2014)

Déjà tétanisant à la fin de la séance, lors de sa sortie en salle, Fury procure exactement les mêmes sentiments à la révision, au chaud dans son salon, lové dans son canapé moelleux. C'est que David Ayer sait toujours y faire pour écrire ses héros et définir ses atmosphères nihilistes. Il continuait ainsi, mine de rien, à creuser son sillon, celui qui en fait un réalisateur à part, à explorer la thématique de la corruption de l'homme. Tout en nous offrant moins un film de guerre qu'un film sur ceux qui sont obligés de la faire, ainsi que sur les instincts qui les gouvernent.


Ayer dépeint son escouade comme on dessinerait le portrait d'une cellule familiale dysfonctionnelle, avec à sa tête un chef de meute, un chef de clan, un père qui protège les enfants qu'il a sous sa garde. C'est à travers les yeux du dernier d'entre eux, Norman, que nous est donné à ressentir toute l'horreur de cette guerre sale et boueuse, qui se joue comme une marche inexorable à travers la morne campagne allemande, la peur au ventre, sous les yeux d'un ennemi invisible et retors. Ses premières fois sont toutes autant émouvantes que barbares ou violentes. Le jeune Logan Lerman prête avec réussite ses traits juvéniles à un personnage innocent, en total décalage avec le décor dans lequel il est parachuté et avec ceux qu'il côtoie. Il constitue le véritable point d'entrée du film pour le spectateur, permettant de faire vivre ses compagnons d''armes ainsi que leur War Daddy, auquel Brad Pitt confère une indéniable et fascinante aura de leader.


Si l'on s'attache à ces personnages, Ayer se montre sans concessions sur leurs actes alors que, une fois sortis de leur étouffante cellule de survie, ceux-ci ont du mal à canaliser le stress, la tension, la peur et les émotions qui prennent le dessus sur toute conduite rationnelle. Une halte et un repas se transformeront rapidement, à ce titre, en fête de famille ratée et dérangeante, le spectateur se demandant constamment le sort qui sera finalement réservé aux deux ravissantes hôtesses de nos soldats, tant l'animal qui semble tapi en certains d'entre eux hurle pour se libérer. Seul semble manquer quelques scènes afin de donner une histoire propre à chaque membre du groupe. Car on sent parfois, que le film coupe alors qu'il avait encore quelque chose à raconter, comme par exemple les circonstances dans lesquelles le dos de War Daddy a été brûlé.


Quant à l'action, brute et sans concessions, elle est loin d'être oubliée par David Ayer, que ce soit à l'occasion d'un assaut campagnard ou d'une entrée meurtrière sur la place d'un village allemand. Et quand la menace mécanique d'un char ennemi surgit, c'est pour saisir l'occasion de réaliser une véritable et scotchante chorégraphie guerrière, un pas de deux déséquilibré tant en taille qu'en puissance de feu, avec un adversaire invincible et impressionnant auquel on ne peut échapper. Le char d'assaut, lui, devient littéralement le foyer du groupe, malgré l'exiguïté, la promiscuité. Tous vivent finalement en symbiose pour faire avancer ce monstre de métal qui rugit, qui hurle, qui grogne. Il devient le seul lieu où la survie semble possible, alors même que le climax du film le transforme en piège. Fury prend ici, dans sa dernière ligne droite, des allures de home invasion movie militaire, aussi héroïque que crépusculaire, alors que la dévastation qu'il sème se perd dans l'écran opaque des fumigènes et les orangés des flammes qui dansent.


Véritable requiem, Fury assène un ultime uppercut à son spectateur médusé en se terminant sur une musique funèbre sur fond d'images d'archives rouge sang, parfois dérangeantes, comme pour souligner, une dernière fois, l'absurdité de la guerre, des sacrifices consentis, ou des idéologies illusoires et fanatiques, irriguant son effort guerrier d'une intensité rare, d'une immersion de tous les instants.


Behind_the_Mask, d'ici et d'Ayer.

Behind_the_Mask
8
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le 26 oct. 2014

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