Dire que mon enthousiasme initial pour Freaks Out prêtait le flanc au pétard mouillé serait bien magnanime. N'ayant eu vent du film que trois jours avant sa sortie sur notre territoire, je fus d'emblée alléché par la perspective d'un conte touchant au monde du cirque de curiosités, tradition d'une d'époque qui ne lasse pas de me fasciner (le Freaks de Tod Browning fait partie de mes films préférés), puis décontenancé par la bande-annonce calamiteuse qui tentait de fourguer la marchandise sous un angle Avengersien que l'on sentait forcé. Sur le papier, le film avait certes tout pour me plaire, que ce soit par son sujet ou sa plastique faisant du pied aux exploits organiques de Guillermo Del Toro, mais il avait aussi et surtout le potentiel de me décevoir dans la regrettable éventualité où le trailer se serait avéré pertinent. Heureusement, il n'en fut rien.
A l'issue de ma séance grenobloise arrachée au vent glacial de la nuit d'hier soir (sérieusement, comment a-t-on pu perdre vingt degrés en deux jours ?), deux séquelles bien distinctes se font sentir, et elles n'ont rien à voir avec la température de mes orteils sur le chemin du retour. L'une est mon incapacité totale à comprendre comment le personnel en charge de sa bande-annonce a pu échouer à promouvoir un film pareil. La seconde est, ni plus ni moins, l'hématome d'une baffe éléphantesque assenée par le film lui-même, qui pourrait bien être mon coup de cœur personnel de l'année s'il parvient à conserver sa place face à certaines de mes grosses attentes de 2022 (The Northman arrive dans nos salles sous peu et Unicorn Wars me fait de l'œil depuis un moment déjà).
Dans l'optique d'inciter les lecteurs de ces lignes à aller découvrir Freaks Out en salles, je me permettrai de balayer quelques étiquetages de bouche-à-oreille qui me paraissent hâtifs et sous-gonflés. Certains évoquent un film de superhéros. Je répondrais qu'il serait dommage de le résumer à cela, même s'il n'est pas totalement irraisonnable de sentir un peu de Dark Phoenix dans la tambouille. A la rigueur, la comparaison avec le travail de Del Toro a plus de sens, mais on pourrait également citer un compatriote comme Matteo Garrone ou s'attarder sur la parenté (assumée) avec le quatuor hétéroclite du Magicien d'Oz. D'autres parlent du film comme d'un blockbuster italien. Il n'en est rien. Le budget, sans être infime, est limité pour ce genre d'entreprise. 12 millions, c'est moins que, en vrac : Aline, Illusions Perdues, Benedetta, Le Grand Bain, Annette, Un Prophète, Le Chant du Loup, Bac Nord, 8 rue de l'Humanité, l'Enquête Corse, Rien à Déclarer, Les Aventures d'Aladin, Double Zéro, La French, Hors Normes avec Cassel, Disco avec Franck Dubosc, Boule & Bill avec Franck Dubosc, Bis avec Franck Dubosc, Cinéman avec Franck Dubosc, le Nicky Larson de Philippe Lacheau ou le premier OSS117 d'Hazanavicius. C'est loin, trèèèès loin de n'importe quelle adaptation live d'Astérix, dont l'opus le plus fauché reste au-dessus des 40 millions. 12 millions, soit à peine plus que Boite Noire, les Traducteurs, Amélie Poulain, Mon Roi de Maïwenn, LOL avec Sophie Marceau, Tout le Monde Debout avec Franck Dubosc ou un film Ducobu avec Elie Sémoun. Et pourtant, on serait tenté de relativiser cette réalité, sachant que 12 millions, c'est presque trois fois la moyenne du coût d'un long-métrage hexagonal en 2021. Sauf qu'il faut aussi penser les chiffres en songeant aux besoins réels du produit fini et que, dans le cas de Freaks Out, le projet est loin d'avoir le portefeuille de son ambition.
Et pourtant... la générosité du film est torrentielle, majestueuse et inarrêtable. Elle déborde de l'écran en grands flots écumants, de la première à la dernière minute. Les personnages sont puissamment incarnés, la direction artistique est grandiose, l'écriture est d'une finesse exemplaire et la mise en scène regorge de trouvailles ingénieuses permettant à l'histoire de glisser avec aisance de la fable poétique au spectacle explosif sans jamais sacrifier la subtilité de son propos. Vous êtes surpris d'entendre une chanson moderne comme thème intradiégétique ? Pas de panique, nous ne sommes ni chez Zack Snyder, ni chez Baz Luhrmann (des réalisateurs que j'apprécie, au demeurant) et le scénario déroule une séquence onirique magistrale qui confère un sens profond à ces faux anachronismes. Le traitement du méchant, faiblesse bien connue de nombre de gros projets hollywoodiens récents, est une des forces indéniables de Freaks Out. Là où le fascisme est facilement assimilé à une volonté d'anéantir ce qui ne lui ressemble pas, nous sommes ici confrontés à une figure grotesque qui s'aime autant qu'elle se hait et désespère de légitimer son existence au monde, mettant tout en œuvre pour prouver qu'il existe d'autres atrocités qui lui ressemblent. En filigrane se pose l'éternelle question de la norme, de sa viabilité face à l'exception et de la valorisation de la différence individuelle. Car le monstre de foire, le fanatique en mal de reconnaissance et le frère ennemi sont bien là, parfaitement représentés en une sorte de grande famille bousillée, en silhouettes confuses mais familières qui ne se révèlent jamais vraiment telles qu'on pensait les distinguer de prime abord. A l'heure où les films-étendards du grand divertissement populaire ne sont le plus souvent pas ceux qui nécessitent réellement l'appui des foules, j'aimerais encourager à soutenir de belles choses fragiles comme Freaks Out. Moi, en tout cas, j'applaudis.


clap clap clap

OrpheusJay
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le 3 avr. 2022

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Orpheus Jay

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