À ma droite, Ivan Torres. Profession : acteur. Professeur d’arts dramatiques et vedette de théâtre, reconnu par la critique, il évolue aussi loin que possible du faste hollywoodien qu’il méprise. Marié depuis presque trente ans à sa femme, écrivaine de livres pour enfants, il enseigne pour se rendre utile et règne par l’exemple, exerçant sa profession avec une ascèse presque monacale.

A ma gauche, Félix Rivero. Profession : acteur. Une star internationale, adulée par le grand public mais également ornée de plusieurs récompenses du grand écran. Un genre de Matthew McConaughey ou de Robert Downey Jr espagnol, dont on a du mal à dire du mal même quand on s’exaspère de le voir partout. Narcissique, coureur de jupons, adepte de la salle de gym, le genre de personnage qui, lorsqu’il voit les feux des projecteurs s’allumer, chausse ses lunettes de soleil pour mieux bronzer dans leur éclat.

Au centre, Lola Cuevas. Profession : réalisatrice. Portée au rang de nouvel espoir du cinéma d’auteur en tout juste trois films, elle ne semble avoir peur de personne. Excentrique, géniale, vacharde, lunatique, torturée sur les bords et pénible au milieu. C’est elle qui a décidé de réunir les deux autres zigotos, même si ce n’est pas elle qui a eu l’idée du film qu’elle s’apprête à tourner. C’est donc une longue histoire… pas si longue que ça, en fait... Mais compliquée. En bref : Deux acteurs à succès, aux carrières et aux conceptions du monde vastement différentes, recrutés par une réalisatrice adepte de méthodes radicales pour tourner un film basé sur un roman Nobelisé dont les droits ont été acquis par un millionnaire désireux de laisser une empreinte culturelle sur le monde avant son rendez-vous avec la Grande Faucheuse. Une fois les répétitions lancées, la rivalité sera de tous les instants.

Non, vous n’êtes pas devant le nouvel Almodovar. Compétiton Officielle est réalisé par Gaston Duprat et Mariano Cohn, duo de cinéastes argentins dont c’est la première œuvre à laquelle je suis confronté. Bien que sur le papier (celui de son affiche et de son synopsis), le film puisse évoquer l’empreinte du grand Pedro de façon tout à fait flatteuse, il serait bien dommage de le réduire à cela. Ce qui ne veut pas dire que je n’ai pas souvent songé durant la séance à d’autres cinéastes ayant approché les mêmes thématiques avec des raisonnements parfois similaires, notamment Paolo Sorrentino (plus particulièrement pour La Grande Bellezza et Youth) ou Alejandro González Iñárritu pour Birdman. Pourtant, c’est aussi dans ses différences avec d’autres œuvres pré-existantes que le film se distingue. Qu’on se le dise, il n’est ni aussi méta que les Acteurs de Bertrand Blier, ni aussi radical que Holy Motors de Leos Carax, par exemple. A la fois très drôle et très bien écrit, Compétition Officielle exécute avec beaucoup de précision ce que son scénario semble vouloir analyser. On aura parfois l’impression d’un film qui énoncerait un peu trop ouvertement ses intentions, notamment par ses dialogues, ce qui aurait pu donner au rendu final un goût de théâtre filmé où le verbe serait l’unique vecteur du récit. Néanmoins, Dupras et Cohn parviennent à éviter cette embûche en alignant des idées de mise en scène toutes plus ingénieuses et surprenantes les unes que les autres. Si ce dispositif peut potentiellement laisser une impression de catalogue de sketchs, il permet surtout de constamment générer du rire et de la poésie, ainsi que d’éviter des longueurs de visionnage tout en laissant le génial trio d’acteurs (également producteurs exécutifs) libre de s’amuser en toutes situations. Citons en vrac la scène des trophées, celle du tuyau d’aspirateur, celle du rocher suspendu, celle des plans rapprochés sur écran géant ou celle, génialement surréaliste, du concours de baisers sonorisés.

En comparaison de sa dimension comique rondement menée, le propos du film peut parfois demeurer en surface, dressant des portraits finalement assez prévisibles de ses personnages (le vieux prof de théâtre austère meurt d’envie qu’on lui serve des honneurs afin de pouvoir les refuser publiquement et la star planétaire, précisément parce qu’elle plaît à tout le monde, est hantée par la crainte de ne plaire à personne). Néanmoins, l’alchimie exemplaire du casting, qui ne fait qu’une bouchée du script, ainsi que le fonctionnement en quasi-huis clos (la majeure partie du récit se concentre sur les répétitions précédant le tournage) compense plus que largement quelques facilités d’écritures, par ailleurs aisément pardonnables dans le contexte d’une comédie qui fait la part belle à la caricature.

En outre, l’une des forces insoupçonnées de Compétition Officielle se trouve dans sa capacité à nous faire imaginer un film que nous ne voyons jamais, mais dont l’ambition innerve chaque instant des scènes qui nous sont présentées. Une construction dramatique réelle organisée autour d’une construction dramatique de fiction et qui culmine à deux reprises. Tout d’abord, lors de la scène de dénouement du film dans le film, répétée dans un théâtre avec les moyens du bord, et qui cristallise une intensité tragique faisant instantanément taire notre rire pour laisser place à une véritable émotion. Ensuite, lors d’une séquence de trahison vue à travers les yeux de la réalisatrice pour qui cet acte, tout terrible et absurde qu’il puisse être, constitue bel et bien une preuve irréfutable de talent dramatique absolu.

En somme, Compétition Officielle est une bien belle surprise de ce début de mois de juin. Le film ne révolutionnera sans doute pas la conversation dans laquelle il s’inscrit, mais fait preuve de suffisamment de légèreté dans son propos et d’audace dans sa mise en scène pour trouver sa place, non loin des références prestigieuses auxquelles il serait par ailleurs regrettable de le restreindre. Son accessibilité totale pourrait également en faire un beau succès en salles. A la sortie de ma séance, j’ai pu constater avec grand plaisir que le public comportait des spectateurs d’âges et d’horizons variés, qui semblaient tous avoir pris beaucoup de plaisir devant le film. Que l’on soit disposé ou non à l’admettre ou à le valoriser, que l’on se sente plus proche de Félix ou Ivan, on ne peut que difficilement nier que rassembler un public varié constitue déjà une forme de succès en soi.

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le 2 juin 2022

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Orpheus Jay

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