Les personnages un peu cabossés par la vie et naturellement hauts en couleur, le cadre urbain aussi tristounet qu'ensoleillé, les filles aux chevelures chatoyantes qui ne se laissent pas marcher sur les pieds, et les garçons un poil perturbés : avec Fortunata, Castellitto avait de quoi faire de l'Almodovar de la bonne époque – et en moins gay. Hélas, le résultat touche, mais ne convainc pas des masses.


Fortunata, personnage-titre du film, sorte de version latine d’une « white trash » belle comme une Alfa Romeo de collection qu'on aurait juste laissée traîner un peu trop longtemps dans un vieux garage rouillé, pas si petit bout de blonde brut de décoffrage, roturière flamboyante dont l’effronterie un peu vulgaire ne dissimule jamais son élégance naturelle, et sa belle interprète Jasmine Trinca, donnent envie d'aimer le film. À raison, en ce qui les concerne : malgré son charisme indéniable, on n’attendait pas une performance si nuancée de sa part, incroyablement juste tant dans les coups de gueule que dans des scènes plus subtiles, comme ce moment où elle réalise qu'elle va perdre la garde de sa fille. Le film s’appelle Fortunata, Fortunata est un personnage plein de charme, l’actrice qui la joue emporte aisément l’adhésion, ça semblait plutôt bien parti.


Seulement, il y a ce que le scénariste a fait de sa vie, à Fortunata. Autant un personnage sens dessus dessous peut faire les plus belles étincelles, autant l’histoire qui le met en scène a, inversement, intérêt à savoir où elle en est, où elle va, ce genre de choses, pour fonctionner. Or Fortunata, le film, semblera un peu largué du début à la fin. Comme son héroïne dont on ne sait pas vraiment si elle est maquée au psy bienveillant ou au tatoueur écorché vif, Castellitto jongle un peu entre les intrigues, les thèmes, les humeurs, et même les registres, autant d'éléments pâtissant de ce traitement dispersé : la romance avec le psychiatre Patrizio, personnage prometteur dont on attendait un orage existentiel de sa confrontation avec l’héroïne, finit en eau de boudin malgré une scène de révélation dramatiquement forte, dans le dernier quart du récit ; la critique sociale ne dépasse tragiquement pas les clichés des prolos magnifiques comme on venait d’en voir, quelques semaines plus tôt, dans The Florida Project de Sean Baker, film autrement plus concentré ; l’effleurement du multiculturalisme et le portrait un peu caricatural de la « sinisation » de l’Italie ne débouche sur rien d'intéressant ; et même la gamine de l’héroïne, Barbara, n’inspire pas de véritable empathie à cause de la dispersion du scénario (il n’y a que sa jalousie envers sa mère dans leur relation au psychiatre qui éveille l’intérêt). Le film fait un peu penser à Erin Brokovich pour son héroïne prolo grande gueule au grand cœur ; on aurait aimé qu’il bénéficie d’un scénario aussi maîtrisé.


Non pas qu’il n’ait rien d’intéressant à dire. Par exemple, on craignait le pire avec le personnage de Franco, l’ex-mari amateur de violences domestiques, or si le gars EST un gros con qui a la tarte trop facile et mériterait un séjour au mitard, le film n'en fait pas pour autant une caricature de bourrin (il est animé de pulsions suicidaires), et complique même la situation en opposant ce type, qui veut sincèrement le bien de leur gamine en dépit de tous ses défauts, à une Fortunata pleine de bonne volonté, mais pas exactement un modèle de mère compétente. Autre exemple, le lien entre Fortunata et Chicano, joué par un très émouvant Alessandro Borghi, qui ne cesse de révéler sa profondeur tout au long du film, alors que c’est de la relation avec le psychiatre qu’on attendait quelque chose d’inspiré. Cela veut dire quelque chose. Le film a du cœur, et le spectateur en profite chaleureusement, à certains moments.


Il ne sait juste pas toujours quoi faire de ce cœur grand comme ça. On croit qu’il va éviter l'écueil du misérabilisme quand il se laisse soudain aller à une saillie aussi grandiloquente que bidon (comme cet improbable « la vie est sacrée ! » « La vôtre, peut-être ! On se fout de la nôtre ! »). On espère un mûrissement des personnages, à commencer par l’héroïne, mais le film bascule à la fin dans une hystérie pleurnicheuse confortant le cliché des latins au sang chaud. « F for effort », comme disent les Amerloques, d'où la moyenne, mais... avec de tels atouts de ton côté, tu pouvais vraiment mieux faire, Sergio.

ScaarAlexander
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le 5 mars 2018

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