Forgotten Silver
7.5
Forgotten Silver

Documentaire de Peter Jackson et Costa Botes (1995)

Forgotten Silver, Peter Jackson & Costa Botes, Nouvelle-Zélande, 1995, 54 min

Désormais établi et reconnu en réalisateur sérieux et solide, en 1995 Peter Jackson se lance dans un projet atypique, en collaboration avec l’un de ses compatriotes, Costa Botes, pour mettre en scène un mockumentaire formidable. Ce dernier apparaît comme une petite récréation après le heavy « Heavenly Creatures », permettant à Jackson de retrouver sa position de cinéaste polisson. Cette fois, c’est toute la Nouvelle-Zélande qu’il piège avec une blague monumentale, puisque le film a dans un premier temps été diffusé sur une chaine de télévision nationale et vendu tel un véritable documentaire.


Sur un petit peu moins de 1h, ce faux relate les expériences cinématographiques malheureuses de Colin McKenzie, un Néo-Zélandais ayant vécu au début du XXe siècle. Passionné par cette nouvelle invention qu’est le cinéma, un art naissant, qui dans les années 1900 constitue plus une technologie qu’un art en soi, il s’investit corps et âme dans le développement de cette technique. Le problème réside dans le fait que de chaque tentative résulte un échec, du à un manque de chance incroyable, puisque Colin McKenzie à une poisse pas possible.


Pionner sur à peu près tous les aspects de l’évolution cinématographique, il est le premier à faire un travelling, à mettre du son, à filmer en couleur, mais chaque expérience se solde par un incident quelconque. La faute aux mœurs de l’époque, à un public peu emballé ou une personnalité complexe et torturée. Peter Jackson et Costa Botes vont même plus loin, dans le sens où ils jouent avec le sentiment national, puisqu’ils ne font pas juste de la Nouvelle-Zélande le précurseur du cinéma, mais aussi la nation dans laquelle une machine vola plusieurs secondes, des mois avant les frères Wright. Cette révolution est mise à mal par Colin McKenzie, dont la présence derrière sa caméra provoque un accident et empêche cet événement d’être médiatisé.


Jouant habilement sur l’oubli d’une époque lointaine, les deux cinéastes étalent ici leur amour pour le cinéma et témoignent d’une véritable cinéphilie, telle une lettre d’amour à leur art. Par le biais de reconstitutions crédibles du cinéma d’antan et en usant à outrance du génie maudit, qui leur permet à peu près toutes les audaces, en convoquant un humour fin et efficace, renforcé par la nature tragique de l’ensemble. Car Colin McKenzie possède un sens de la démesure et une hubris over-the-top, se lançant à corps perdu dans des projets totalement fous, qu’il ne peut mener à bien, puisqu’il se révèle beaucoup trop en avant sur son temps.


Malin, le métrage l’est à bien plus d’un égard, avec sa mise en abîme parfaitement bien maîtrisée, puisqu’après sa diffusion, il fît scandale dans le pays des kiwis (le fruit sur patte). En effet, les téléspectateurs étant tellement fiers d’apprendre que le cinéma moderne était quasiment né sur leur île, et que la Nouvelle-Zélande fût en avance sur plus d’une technique avant-gardiste, lorsque la nature de faux fût révélée, ça n’a pas vraiment plu. Comparable à la narration de La Guerre des Mondes à la radio par Orson Wells dans les années 1930, la réussite de cette supercherie est à créditer au compte des deux cinéastes s’étant donnés un mal fou pour rendre tout cela terriblement réaliste.


Le film est jonché d’interview de professionnels du cinéma (big up à Harvey Weinstein…), comme le natif Sam Neill, mais aussi un historien du cinéma, un spécialiste de la restauration, etc., etc… Tout fut vraiment mis en œuvre pour donner un cachet authentique à l’ensemble, et ça fonctionne à merveille, au point que même lorsque l’on sait que tout cela est faux, une furieuse envie d’y croire persiste. Et cela demeure un indicateur solide sur le fait que c’est une réussite, tout simplement. Pour l’anecdote, Thomas Robins (qui prête ses traits à Colin McKenzie) assista à la diffusion du mockumentaire en compagnie de sa famille, et absolument personne ne le reconnut, persuadé que tout cela était vrai de vrai.


Maintenant, le métrage n’est pas exempt de défauts, à l’instar d’une dernière partie un peu longuette. Elle montre les extraits d’une œuvre biblique magistrale, qui après le premier visionnage apparaît de moins en moins convaincante. Même si la reconstitution est maîtrisée et que Peter Jackson (qui s’est occupé de réaliser tous les faux films d’époque) délivre là l’expression de tout son amour pour le Cinéma et sa passion de l’Histoire, il faut admettre que face à l’ensemble. Mais face à l’ensemble du récit, qui consiste en une sorte de chasse au trésor contemporaine, c’est une conclusion relativement faible et facile. C’est peut-être chipoter, mais force est de constater qu’au fil des ans, et après nombre de visionnages, la magie opère de moins en moins.


Toutefois, « Forgotten Silver » reste une œuvre atypique, parfois comparée à « The Spinal Tap » (à juste titre), toujours plaisante à revoir et qui constitue un plaisir non coupable de cinéphile. Comme un moment d’intimité partagé avec deux cinéastes, aux côtés desquels ont s’assoiraient volontiers, au coin d’un feu crépitant, une tasse de chocolat chaud à la main, pour les écouter des heures entères nous raconter cette épopée fantastico-tragique d’un cinéaste légendaire oublié de tous et même de l’histoire. En ce sens, les différents défauts du film deviennent dérisoires et oubliables, et il ne reste plus qu’à rêver, parce que, bon sang, on a envie d’y croire !


-Stork_

Peeping_Stork
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le 6 janv. 2022

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Peeping Stork

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