Sorti en salles dans l'indifférence mais auréolé du Prix de la Critique à Avoriaz en 1981, Fondu au Noir s'est notamment attribué d'une certaine renommée dans les rayons des vidéos club au point de devenir culte chez une poignée de cinéphiles (Pascal Laugier le considère d'ailleurs comme l'un de ses films de chevet !). Réalisateur méconnu uniquement responsable de trois longs-métrage, Vernon Zimmerman s'intéresse ici à traiter un cas de schizophrénie du point de vue d'un cinéphile infaillible.
Passionné de cinéma, Eric vit reclus dans son foyer parmi la compagnie d'une mère castratrice. Pour compenser sa solitude, il visionne inlassablement ses films préférés qu'il connaît par coeur. Un jour, dans un bar, il tombe amoureux du sosie de Marilyn Monroe. Le soir même, il lui propose un rencart en ville pour une séance ciné mais la jeune fille étourdie oublie de le rejoindre. Dépité, il rentre chez lui et se replonge illico dans un vieux classique de film noir. Gagné par une rancune incontrôlée depuis que sa mère osa pénétrer dans sa chambre pour y détruire une bobine de pellicule, Eric finit par sombrer dans la folie meurtrière.


Oeuvre insolite à la lisière du drame, de la romance et de l'horreur, Fondu au Noir se présente comme un hommage au cinéma de genre sous le truchement d'un cinéphile dérangé. Plongé dans son désarroi de la solitude, faute d'une mégère incapable de lui porter un regain d'amour maternel, Eric est d'autant plus contraint de supporter les railleries de collègues de boulot et l'intolérance d'un patron draconien. Son seul réconfort, il le retrouve dans les films qu'il se repasse en boucle du fond de sa chambre. Connaissant par coeur chaque séquence et réplique culte, à l'instar de la filmographie des acteurs et réalisateurs, il s'est taillé depuis toujours une réputation de cinéphile incollable. Mais sa détresse et sa colère d'être systématiquement dénigré aux yeux des autres vont finir par le faire sombrer dans une vendetta irréversible. L'originalité du sujet est ici traité de manière débridée afin de rendre hommage au 7 art mais surtout pour y dénoncer ses effets pervers sur l'emprise de l'image. Car afin de se permettre une raison d'exister et d'accomplir sa vengeance, notre cinéphile finit par s'inventer une nouvelle identité, à la manière du dédoublement de personnalité, pour pénétrer dans la peau de ses personnages favoris du cinéma. Travesti en vampire, cow-boy, momie ou gangster, Eric sème la panique et la mort autour de lui sous ses grotesques panoplies. Si les références et les clins d'oeil aux classiques du cinéma pullulent dans Fondu au Noir, c'est notamment pour y dénoncer l'influence que peuvent avoir certaines images chez des esprits fragiles ou dérangés jusqu'à ne plus pouvoir différencier réalité et fiction. En l'occurrence, la violence au cinéma auquel notre héros va instinctivement se remémorer les souvenirs les plus intenses afin d'extérioriser sa rage meurtrière.


L'homme aux 1000 visages
Avec une indéniable tendresse pour son personnage et une émotion parfois poignante, Vernon Zimmerman transcende le portrait pathétique d'un cinéphile égaré dans la chimère et la désillusion. Une victime rongée par sa solitude et l'intolérance d'une société arriviste, qui, pour oublier sa médiocrité, se raccroche au symbole sexuel de Marilyn Monroe pour la courtiser et accéder à la notoriété (celle d'un acteur oublié !). Sous l'élégie fragile de son thème musical et parmi le jeu écorché de l'acteur Dennis Christopher, Fondu au noir s'érige en oeuvre inclassable, trouble et dérangeante, d'où s'extrait un lourd sentiment d'amertume.

BrunoMatéï
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le 25 févr. 2021

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Bruno Matéï

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