Avec Florence Foster Jenkins, Stephen Frears réalise un condensé de la dernière décennie de sa filmographie. Il met à nouveau son cinéma au service d’une histoire vraie : celle de la riche héritière éponyme se voulant cantatrice qui a déjà auparavant inspiré Xavier Giannoli pour sa Marguerite (France, 2015). Il renoue ainsi avec ses nouvelles obsessions pour des héroïnes d’âge mûr – de Chéri (2006) à Philomena (2014) – et retrouve ses démons sur la dissimulation de la vérité qui irriguait notamment son dernier film, The Program (2015) sur Lance Armstrong. Cependant parmi toutes ses résonnances, Florence Foster Jenkins se rapproche surtout de l’incursion de Stephen Frears dans la comédie qu’avait été Tamara Drewe (2010). Le cinéaste anglais recouvre alors un genre salutaire qui lui permet d’apporter une légèreté à sa mise en scène habituellement appuyée et de le tenir à distance du pathos qu’il semble tant aimer.


En effet, Florence Foster Jenkins séduit en se voulant être un hommage assumé aux comédies des années 1940. Stephen Frears recrée ainsi, par le rythme effréné du cinéma contemporain à son protagoniste, une époque charnière partagée entre la flamboyance d’une société élitaire encore très « XXe siècle » et l’horreur de la Seconde Guerre mondiale qui vient pourtant que sporadiquement perturbé l’univers de Florence. Le cinéaste suit alors les préceptes de la screwball comedy, malgré un scénario quelque peu prévisible, en appuyant son caractère comique sur des dialogues ciselés et sur un burlesque allant jusqu’à l’illusion cocasse d’un orgasme sonore et corporel entre Florence et son professeur de chant. De plus en mettant en avant – à l’inverse de Xavier Giannoli – son mari joué par Hugh Grant (remarquable), il semble également lorgner vers la comédie de remariage avec ce tendre couple atypique cherchant un moyen d’exister pleinement entre les illusions (chacun se pensant talentueux dans son domaine) et les aléas conjugaux (maladie, maitresse).


Toutefois, cette tonalité singulière semble surtout taillée pour servir d’écrin à l’exubérance du personnage de Florence Foster Jenkins. Elle nous apparaît sous les traits révélateurs de l’Ange de l’inspiration symbolisant à la fois son rôle crucial dans le maintien d’une vie artistique new-yorkaise et sa volonté de vivre dans une représentation théâtrale permanente. Elle fait d’ailleurs corps avec les décors et les costumes allant, tout comme eux, jusqu’à la surcharge pour tendre vers un doux absurde. Un même absurde qui lui dicte ses aspirations, livrer un récital classique dans la mythique salle du Carnegie Hall, en lui offrant autant d’assurance que de manque de talent. Néanmoins, de ce gouffre Stephen Frears parvient à dégager non pas un objet de moquerie, mais une bienveillance. Il transforme le rire qu’elle suscite en une démonstration de son véritable talent : celui de parvenir à créer de l’émotion et à procurer du bonheur.


Cette sincérité repose également sur un émérite trio d’acteurs – mené par une Meryl Streep retrouvant (enfin) un rôle à sa mesure – parvenant à insuffler par la richesse de leur jeu un degré supplémentaire de comique, la farce. Stephen Frears utilise habillement les personnages du mari et du pianiste, Cosmée McMoon (joué par un Simon Helberg éblouissant) comme de relais pour les réactions du spectateur. A l’aide de nombreux gros plans, il scrute leur visage pour y remarquer les réactions épidermiques qu’ils tentent de dissimuler pour ne pas entraver la passion d’une femme qui les fait vivre. Le cinéaste guide ainsi les émotions du spectateur en lui imposant une complaisance tacite envers Florence Foster Jenkins. L’acte prévaut alors sur le résultat comme elle le disait elle-même à la fin de sa vie : « les gens pourront toujours dire que je ne sais pas chanter, mais personne ne pourra jamais dire que je n’ai pas chanté ».


Florence Foster Jenkins n’est ni une œuvre parfaite ni un grand film, mais il remplit amplement ses objectifs en offrant – à l’image de son protagoniste – un spectacle qui parvient à créer de l’émotion et à générer une sorte de supplément d’âme. Et n’est-ce pas finalement la beauté du geste qui manque principalement à la plupart des œuvres ?

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le 11 juil. 2016

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