Finis Terrae, la fin de la terre, le bout du monde. C’est là que Jean Epstein, il y a 90 ans, vint poser sa caméra, renouant avec ses souvenirs d’enfance en Bretagne, et redécouvrant une terre qui le fascinait. Finis Terrae, le Finistère, cette même terre qui m’a vu naître voici 25 ans, captée ici dans un lointain passé par le cinématographe, le temps d’une chronique entre archipels rocheux et mers déchaînées.


L’éloignement. Tout paraît si lointain et primordial en ces lieux quasiment totalement dépourvus de présence humaine, où la végétation rase ne peut occulter un horizon qui fluctue au gré des vagues, de la mer, à perte de vue. Alors que la terre s’arrêtait déjà sur les rivages de l’océan, des hommes et des femmes partirent à la conquête des îles au large, voguant sur de petites embarcations pour pêcher le goémon et en extraire de la soude. Embarqué dans la caméra de Jean Epstein, le spectateur devient un nouveau résident de l’île, aux côtés des quatre goémoniers, alors en pleine saison estivale, la période où l’activité bat son plein.


Spectateur simple de la vie, d’une histoire sans histoires, où le cinéaste ne montre d’autre ambition que celle de raconter la vérité, la vie, en insufflant en elle la puissance du cinématographe pour lui donner une toute nouvelle dimension. Le quotidien est simple, répétitif, et même si un élément perturbateur vient tout de même créer une rupture pour élaborer un schéma narratif classique, le tout ne consiste qu’en une chronique de la vie des ouessantins et des goémoniers au début du XXe siècle. Cependant, Jean Epstein ne veut surtout pas réaliser un documentaire, ou se contenter de filmer des décors et des personnes sans en extraire quelque chose, sans faire parler les images. Il lui faut avant tout faire du cinéma.


De nombreux gros plans sur les visages des personnages, des ralentis sur les vagues qui se brisent sur les rochers, un plan où la fumée produite par le goémon qui brûle crée une étrange symétrie avec les nuages… Des choses banales se retrouvent transfigurées par la caméra et par le cinématographe, devenant elles-mêmes des personnages de l’histoire, transformant une nature morte en un tableau bien vivant, transformant un quotidien figé en une chronique pleine de vie. Il ne s’agit plus seulement de pêche, de navigation, de sauvetages, mais bien d’une histoire entre les hommes et la nature, d’une réalité dont est extraite une forme d’irréel la subliment pour la rendre encore plus authentique.


Alors que le cinéma muet en est à son crépuscule, difficile d’imaginer Finis Terrae avec des dialogues et du son. Jean Epstein montre le quotidien, tout en construisant tout une sorte de mythologie autour de ce dernier, nourrissant les fantasmes et les interrogations vis-à-vis de ces insulaires un brin téméraires et premiers exposés aux aléas de la nature. Impression d’un passé marqué par les traditions, témoignage précieux d’une époque où la vie était dure, regard curieux et fasciné et empreint d’irréel, Finis Terrae est bien au bout du bout, au bout d’une démarche et d’une époque.


Critique écrite pour A la rencontre du Septième Art

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le 9 août 2019

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