Nous avons vu Werner Herzog poser sa caméra dans les milieux parmi les plus hostiles et/ou inattendus du monde. De la foret tropicale d’« Aguirre » aux pleines sibériennes des « Cloches des profondeurs » jusqu’aux sommets escarpés de « Gasherbrum », le cinéaste allemand n’a jamais caché son gout de l’aventure et du risque. Pour « Family Romance, LLC », il pose, pour la première fois, sa caméra au Japon, tournant au passage dans la langue locale. Il n’est pas difficile d’y voir un film d’essai, manifestement tourné à l’arrache et n’employant pas plus d’acteurs et de techniciens qu’il y a de doigt sur une main. Mais si il se targue ainsi d’une étrange allure de film d’étudiant, « Family Romance, LLC » parvient tout de même à faire valoir quelques éclats.


Utilisant comme argument celui d’un homme embauché pour jouer le rôle du père d’une fille de douze ans, le film réveille forcément une première interrogation : pourquoi Herzog a t-il voulu le Japon ? Avec un tel synopsis, il semble clair que « Family Romance, LLC » cherche à constituer une dystopie des relations familiales, assez similaires à ce que nous pourrions voir dans un épisode de « Black Mirror », par exemple. Mais bien sûr, Herzog est bien loin de se limiter à un simple drame, où à un pamphlet formel revenant sur la dégénérescence des rapports humains. Non, très peu de tout ça. La démarche du cinéaste allemand s’oriente davantage sur un point de vue anthropologique, fixant d’un œil horrifié/émerveillé un environnement robotisé, où le personnage principal en vient à se considérer lui-même comme un objet, fait pour satisfaire des désires illusoires.


Parfois, cela va un peu loin, comme notamment lors de la séquence de la gare, où un cheminot, après avoir commis une erreur, embauche notre héros pour s’excuser à sa place vis-à-vis de son chef. Remettant en question les rapports et familiaux et les valeurs sociales, « Family Romance, LLC » se savoure également à la manière d’une chronique humaine ambivalente entre trivialité et tendresse. Trivial au travers de son concept, tendre via son esthétique relativement proche d’un épisode de « Strip-Tease », le film flirte ainsi totalement entre fiction et documentaire. Herzog ne triche pas, nous mettant face à ses personnages avec un fort degré de proximité, reflétant derrière leurs visages une société aux repères égarés. Par exemple, à un moment du film, notre personnage principal et sa fille sont au sommet d’un gratte-ciel. Campant le père de la jeune fille, l’homme s’ectasie soudainement sur un héliport qu’il aperçoit un peu plus bas. Suis un plan large censé nous montrer son point de vue, mais aucun héliport, ni même un hélicoptère à l’horizon.


Si il sonne comme un mineur haïku dans la filmographie de Werner Herzog, « Family Romance, LLC » vaut au moins le détour pour son étrangeté si familière, et son rapport in fine lucide avec une société où la technologie fait muter les mœurs. Minimaliste et universel, si l’on veut.


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le 12 sept. 2019

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