Après trois films enthousiasmants de Bellocchio découverts coup sur coup - La belle endormie, Vincere et Le traître -, je commençais à considérer les cinéaste italien comme une valeur sûre. Patatras. Grosse déception avec cet opus-là.


D'abord c'est long, très long. Certes, c'était le cas aussi des trois autres sus-cités, et je considère qu'il s'agit là d'une faiblesse du cinéaste - rejoignant ainsi Fellini. Mais Bellocchio savait les rendre suffisamment passionnants pour qu'on soit presque à en redemander. Là, j'avais très envie de me réveiller...


Bon départ pourtant, avec ce gamin complice de sa mère, incarnée par Barbara Ronchi, au physique troublant. Les scènes de jeux, celles de terreur devant la télé, le baiser nocturne de la mère puis les portes qui claquent, la scène de l'enterrement où Massimo est touché par de nombreuses mains avant de se révolter, tout cela avait une certaine force. La scène du match de foot où l'emmène son père aussi parvient à transmettre une certaine folie, qui marquera le jeune Massimo.


Bellocchio va s'ingénier à semer, tel un petit Poucet, des indices se référant à cette âge d'or brutalement interrompu : par exemple, on voit sur l'écran de télé le fameux passage de la piscine de La féline de Jacques Tourneur, et on a en fin de film une scène de piscine avec Bérénice Béjo. Le personnage qui se jette dans le vide, toujours à la télé, suscite la scène où Massimo jette une statue de Napoléon par la fenêtre pour vérifier la loi de l'attractivité (et j'ai aimé qu'on n'entende pas la statue tomber). On voit aussi Nosferatu passer sur l'écran, qu'on retrouve sur le décor d'une soirée dansante.


L'usage du petit écran se retrouve souvent chez Bellocchio. L'éclairage des scènes, la neige qui tombe par la fenêtre, l'insistance sur les couloirs, le thème des relations familiales, participent aussi du style Bellocchio. Ce n'est pas rien.


Et puis, il y a cette scène formidable : à Sarajevo, Massimo, devenu reporter de guerre, trouve avec son collègue photographe une femme assassinée, baignant dans son sang. A côté, un gamin joue avec une play station. Plutôt que de le soustraire à la violence de la scène, le photographe le positionne devant le cadavre pour faire une belle photo. Le gamin n'en est nullement perturbé. La violence de la scène, c'est Massimo qui la prend en pleine poire. Brillant.


J'en ai fini avec le bon. Passons au plus embarrassant.


La construction d'abord, en flash back, inutilement complexe, avec de nombreux allers retours. On n'en ressent pas vraiment la nécessité.


Le pathos ensuite, qui concerne surtout la deuxième heure. L'histoire avec Bérénice Béjo, mon Dieu... Inspirée d'une histoire vraie ? Peut-être pas ce pan-là du film ? Il n'y a qu'au cinéma qu'en appelant un médecin elle vous reçoit dans l'heure, puis accepte sans broncher qu'un patient lui déclare "quelqu'un de proche... comme vous par exemple ?". Coup de bol dis donc, la fille n'avait personne dans sa vie, toute prête à tomber amoureuse du pourtant pas si charmant Massimo. Bon, certes, le film s'appelle Fais de beaux rêves, mais quand même... Si l'on ajoute à cela le physique et le jeu très crispants de Bérénice Béjo, la scène de la réunion de famille tourne au pensum. Deuxième couche avec la confession de Massimo, "tellement poignante", que toute l'Italie dévore comme un seul homme. Là, j'ai l'impression d'avoir affaire au cinéma le plus banal, cent fois vu. Et je ne reconnais tout simplement plus le Bellocchio qui m'emballait.


On ne peut pas non plus passer sous silence quelques clichés du cinéma, comme le prêtre qui se fait rabrouer en parlant de la vie éternelle (la petite pique au cléricalisme qui va bien), le père de Massimo qui se tape une fille de 30 ans de moins que lui (marre, vraiment, de voir ça au cinéma et jamais le contraire), la scène de boîte de nuit (autre truc dont je suis las tant ça manque généralement d'intérêt).


Surtout, là où les trois films dont j'ai parlé au début posaient de nombreuses questions, Fais de beaux rêves apparaît comme singulièrement creux. S'il s'agissait de montrer le traumatisme de la perte d'une mère, je recommande l'autrement plus poignant Ponette, de Jacques Doillon.


Alors ? Bellocchio sur une mauvaise pente ? Non : il va se reprendre, et de quelle façon, avec Le traître. Ouf.


6,5

Jduvi
6
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le 19 juin 2020

Critique lue 87 fois

Jduvi

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