FAIS DE BEAUX REVES (14) (Marco Bellochio, ITA, 2016, 130min) :


Une fresque intime et mentale narrant le destin de Massimo, un jeune garçon de neuf ans devant faire face après la mort mystérieuse de sa maman à Turin en 1969. Le 31 Octobre 1965 le mode du cinéma découvre Marco Bellochio avec son œuvre rageuse, précurseur de mai 68 : Les Poings dans les poches. Depuis plus de 50 ans le réalisateur a imprimé sa marque sur le cinéma de façon inconstante avec notamment Le Saut dans le vide (1980), le sulfureux Le diable au corps (1986), Le Prince de Hombourg (1997) ressorti sur nos écrans cette année, Buongiorno, notte (2003) et plus récemment le magistral Vincere en 2009. C’est dire si son retour à Cannes cette année en sélection officielle de la Quinzaine des réalisateurs étaient un événement avec cette libre adaptation du best-seller autobiographique Fais de beaux rêves, mon enfant de Massimo Gramellini (journaliste à La Stampa) paru en 2013. D’emblée le réalisateur lors d’une danse rock endiablée nous montre la complicité et l’amour du fils envers sa mère déjà avec une certaine nostalgie et sans beaucoup d’échanges verbales. Cette mélancolie enveloppe toute la première partie du film, la mise en images élégante au charme suranné montre rapidement la fragilité de la mère tout en évoquant l’esprit fantomatique qui va régner sur le film en incluant des séquences de la mini-série effrayante Belphégor, les fantômes du Louvre, diffusée en France sur les postes de télévisions en 1965. Le cinéaste opte rapidement son récit du point de vue de l’enfant par le biais d’un récit puzzle totalement éclaté dont presque toutes les pièces vont venir combler l’histoire et éclaircir le lourd secret dévoilé au dénouement. Avec ce parti pris parfois confus, la mise en scène multiplie les allers retours temporels sur 30 ans de vie à mesure que Massimo devenu quadragénaire et journaliste voit ressurgir tous les traumatismes de son enfance depuis la mort de sa mère, en devant vendre l’appartement de ses parents. La mise en scène maîtrisée se décline sur trois temporalités (l’enfant, le passage à l’âge adulte et l’adulte), utilise les ellipses et privilégie les cadrages sur les visages et les regards plus évocateurs que les mots. Ses multiplications d’introspections des maux intérieurs et des flashbacks malheureusement ne sonnent pas toujours forcément justes dans le ton et dans l’illustration de l’époque et certaines scènes sont même stéréotypée (la scène du curé critique de l’église) ou assez malvenue, comme l’escapade à Sarajevo du héros qui atteint la faute de goût et n’apporte pas franchement une valeur psychologique supplémentaire à Massimo (dont on a déjà bien compris son rapport avec la mort). Tout au long du film outre la difficile reconstruction d’un fils après la perte de sa mère Marco Bellochio en profite pour nous parler de certaines époques tantôt avec l’amour du club de foot du Torino (et la tragédie du crash aérien du 4 mai 1949), les conflits politiques et scandales financiers, la découverte des vinyles rock anglo-saxons des années 70, et une scène évocatrice du film La Féline (1942) de Jacques Tourneur, tout un panthéon personnel que chaque spectateur peut décliner à sa façon et qui nous transportent également vers une certaine nostalgie et empathie envers le personnage principal. Une œuvre filmé avec langueur, comme un roman, où l’enfant va s’inventer un ami (un Belphégor donneur de conseils) pour s’affranchir de la réalité, l’adolescent rebelle et l’adulte un peu hors du monde n’étant même pas plus charmé que cela par de belles femmes qui l’entourent jusqu’à la rencontre tout d’abord téléphonique avec Elisa (la délicieuse Bérénice Béjo) lors d’une intense crise d’angoisse. L’intrigue trouve peu à peu une note d’espoir tout d’abord pas le biais d’une lettre publiée par Massimo dans son journal ou avec impudeur totale il crève l’abcès par rapport à son deuil non accompli, et par la suite dans une danse mêlant la transe comme une véritable libération totale de toutes ses peurs enfouies. Deux séquences à la justesse désarmante où le masque tombe enfin sans Belphégor à ses côtés…La partition musicale composée d’une comptine, de standards rock électro et de morceaux plus lyriques habillent ce projet ambitieux de façons inégales suivant les tourments et les situations vécues par le protagoniste principal. L’interprétation triple de Massimo confirme l’inconstance ressentie pendant le long métrage, le jeune Nicolo Cabras faisant l’enfant ayant un jeu assez rigide, Dario Dal Pero ne pouvant être véritablement jugé sur le peu de temps sur l’adolescence de s’exprimer totalement et Valerio Mastandrea jouant l’adulte avec des nuances à fleur de peau très convaincantes. Cette variation sur le deuil très riche en sujets et complexe dans sa construction évoque en nous par son thème principal, le mélodrame si poignant : L’incompris (1966) de Luigi Comencini. Venez-vous confronter à vos blessures intimes et faites acte de résilience en allant voir Fais de beaux rêves. Tragique, intrigant, imparfait et psychanalytique.

seb2046
7
Écrit par

Créée

le 29 déc. 2016

Critique lue 504 fois

2 j'aime

1 commentaire

seb2046

Écrit par

Critique lue 504 fois

2
1

D'autres avis sur Fais de beaux rêves

Fais de beaux rêves
PatrickBraganti
6

Mia madre

Il est toujours gênant pour le spectateur d'être en avance sur ce que ne sait pas et finit toujours par savoir le héros d'un film. Dans le nouveau film de l'italien Marco Bellocchio, on pourrait dire...

le 10 janv. 2017

7 j'aime

3

Fais de beaux rêves
Fleming
9

Chapeau, maestro !

Visconti, Fellini, Antonioni, Comencini, Pasolini, Rossellini, de Sica... Avec "Fais de beaux rêves", Marco Bellocchio (77 ans) se montre digne de ses illustres prédécesseurs italiens. Son film est...

le 2 janv. 2017

6 j'aime

2

Fais de beaux rêves
Multipla_Zürn
5

Critique de Fais de beaux rêves par Multipla_Zürn

Trois impressions concomitantes à la vision du dernier Bellocchio : 1. J'ai déjà vu ça cent fois, me suis-je dit dès la première scène. 2. Mais quand même, même si le film est banal, Bellocchio...

le 29 déc. 2016

4 j'aime

2

Du même critique

Plaire, aimer et courir vite
seb2046
8

Jacques et le garçon formidable...

PLAIRE, AIMER ET COURIR VITE (2018) de Christophe Honoré Cette superbe romance en plein été 93, conte la rencontre entre Arthur, jeune étudiant breton de 22 ans et Jacques, un écrivain parisien qui a...

le 11 mai 2018

36 j'aime

7

Moi, Tonya
seb2046
7

Wounds and cry...

MOI, TONYA (15,3) (Craig Gillespie, USA, 2018, 121min) : Étonnant Biopic narrant le destin tragique de Tonya Harding, patineuse artistique, célèbre pour être la première à avoir fait un triple axel...

le 19 févr. 2018

32 j'aime

2

La Villa
seb2046
7

La nostalgie camarade...

LA VILLA (14,8) (Robert Guédiguian, FRA, 2017, 107min) : Cette délicate chronique chorale aux résonances sociales et politiques narre le destin de 2 frères et une sœur, réunis dans la villa familiale...

le 30 nov. 2017

30 j'aime

4