Etude de cas: Comment étouffer des partis-pris intéressants?

Après avoir révolutionné le genre du péplum avec « Gladiator » au début des années 2000, Ridley Scott s'attaque maintenant à la Bible et revisite la légende de Moïse dans « Exodus : Gods and Kings ».
J'ai été intrigué par le traitement impitoyable de la presse spécialisée vis-à-vis de ce film. « Pourquoi est-il si mauvais ? », me suis-je demandé. Mes premiers jours solitaires dans ma petite maison étudiante anglaise m'ont donné l'occasion de vérifier par moi-même.
Verdict : « Exodus » n'est pas un mauvais film, mais c'est un film très décevant.
Je vais, vous vous en doutez, étayer mon point de vue sans plus tarder. « Exodus » n'est pas mauvais car il regorge d'idées intéressantes et de partis pris osés. Il est très décevant car toutes ces trouvailles ont été étouffées par la lourdeur écrasante de la machine Hollywoodienne.
Cher(e)s lectrices et lecteurs, soyez en conscients, vous ne retrouverez pas le Ridley Scott des années 1980 dans ce film, mais le « réalisateur interchangeable » déjà coupable de « La chute du faucon noir » (Cf : Je vous renvoie à ma critique).


Commençons par le commencement (dans le cas d'un film traitant de la Bible, cela parait compliqué. Nous entendrons donc le commencement du film).
Moïse (Christian Bale) et Ramsès, prince d'Egypte, ont été élevés tels deux frères par Pharaon. Comme dans la Bible donc, mais traité à l'écran, cela peut prendre une autre dimension ! Étoffons donc leur relation ! Non ? Bon.
Quelques scènes de bataille où les deux hommes luttent côte à côte illustrent l'amour et le respect qu'ils se portent. Je peux d'ici entendre Ridley : « Ok coco, là le spectateur a compris que leurs liens sont forts, ça prépare bien le terrain pour leur destin tragique de frères ennemis. Scène suivante ! »
Oui, parce qu'à Hollywood, l'important c'est que le spectateur pige, pas qu'il ressente. Première bonne idée mal exploitée, donc.
Au passage, si Christian Bale est correct en Moïse (pas le rôle lui permettant de faire démonstration du talent qu'on lui connaît), la plupart des acteurs laissent à désirer. Ramsès, du moins dans la première partie du film, est un benêt sans personnalité et les autres notables égyptiens sont fades.
Ben Kingsley s'auto-parodie un peu dans le second rôle du vieux sage hébreux mais le charisme du bonhomme le sauve.
Avec autant d'éléments à sa charge, comment « Exodus » ne peut-il pas être un navet ?
Malgré tous les défauts de la première partie du film, on ne peut pas lui enlever une chose : les scènes de bataille et les vues aériennes sur les villes sont grandioses (on va essayer d'oublier Moïse qui démolit un char en jetant une lance dans sa roue, on va essayer...).


Passée une transition assez catastrophique, c'est dans la seconde partie du film que tout prend son intérêt. Cette transition, la voici : Après avoir été exilé du royaume d’Égypte du fait de ses origines hébreuses, Moïse s'arrête dans un petit village de fermiers, rencontre une fille et...se marie avec elle dans la scène suivante. Une petite entracte aurait-elle été de trop ? Genre un retour sur la vie de Ramsès (désormais Pharaon) ou des esclaves, avant de revenir au personnage principal ?
« Bon, tu défends un peu le film ou tu continues à le démolir ? » Entends-je .


Ici commence la seconde partie du film, celle où Ramsès devient autre chose qu'une plante verte et celle où Moïse rencontre Dieu...avec qui il entretient une relation spéciale.
Ridley Scott développe le personnage, peu croyant. Lorsqu'il vivait en Egypte, il ne goûtait guère aux présages et maintenant, dans cette communauté hébreuse, il est las de la place centrale de la foi. Ainsi, lorsqu'il est sauvé et approché par Dieu, il apparaît réellement comme un élu, choisi contre son gré, ce qui explique la relation tumultueuse qu'il entretiendra par la suite avec sa propre foi.
Dieu (ou son messager), sous l'apparence d'un enfant, intime à Moïse de retourner en Égypte libérer « son peuple ». Le personnage de Moïse est, à partir de ce moment, partagé. Il fait confiance à ce Dieu sans vraiment savoir pourquoi, suit ses ordres mais est parfois répugné par les manifestations de la colère divine. Il est totalement dépassé.
La figure de l'enfant pour représenter Dieu est un autre parti pris intéressant. Cet enfant, sensé représenter l'innocence, la bonté, la pureté, est capable de tuer, même des innocents (le meurtre des bébés égyptiens, par exemple). Nous avons donc affaire à un « Dieu enfant », un Dieu capricieux.
On connaît tous plus ou moins le Dieu cruel et vengeur de la Bible. Lui donner ce visage est inattendu.
D'ailleurs, la colère divine, sous la forme des multiples plaies subies par l’Égypte, est impressionnante à l'écran. Les scènes des mouches et des crocodiles, notamment, sont extrêmement bien réalisées.
C'est également dans la seconde partie du film, je l'avais déjà dit, que Ramsès devient enfin intéressant . La cruauté du souverain (qui n'hésite pas à exécuter de nombreux esclaves) est mise en parallèle avec la peine du père de famille. Ramsès apparaît comme un souverain dépassé par les événements, qui ne connaît que la force, force ici inutile.
Moïse et Ramsès se retrouvent donc tous les deux impuissants...simples mortels ennemis dont le destin dépend d'un Dieu qui fait justice en semant la mort. C'est bien amené, et le spectateur le ressent, cette fois.
Par contre, Moïse qui entraîne les esclaves à se battre sous le nez des égyptiens...c'est un détail mais ça m'a fait sortir du film pour un petit moment. C'est un peu le gros raccourci scénaristique du film.


Ridley Scott a décidé de limiter les plans aériens pour filmer l'Exode et s'est limité à des plans larges et des scènes de foule qui rendent le peuple hébreux plus concret, plus humain.
Il a également eu la présence d'esprit (et Dieu merci), de ne pas montrer un Moïse tout puissant écartant la Mer Rouge à la force de ses bras mais a choisi une métaphore plus subtile pour expliquer la séparation des eaux.
Enfin, la scène de l'armée de Pharaon écrasée par les eaux est très impressionnante, sans être too-much. Le final est donc plutôt bien géré.


Pour conclure, « Exodus » n'est pas un grand film, ni même un bon film. Ruiné par un jeu d'acteurs peu convaincant, des transitions scénaristiques d'une qualité douteuse, des dialogues réchauffés, un manque de profondeur dans les relations entre les personnages, des plans bateaux, et j'en passe, il est sauvé du naufrage par une seconde partie bien menée, tant dans l'évolution de la psychologie des personnages que dans la gestion des effets spéciaux et l'utilisation des plans intéressants.
Une chose est cependant sur, ce n'est pas avec ce film que Ridley Scott sera à nouveau considéré comme un « grand » réalisateur (il faudra attendre « Seul sur Mars » dont je vous invite chaleureusement à lire ma critique!).

Mr_Step

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